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les jugements de nietzsche sur guyau

commande, ce qui est vivant risque sa vie[1]. »

« Plus nous irons, ajoute Guyau (p. 216), plus l’économie politique et la sociologie se réduiront, à la science des risques (Nietzsche souligne) et des moyens de les compenser, en d’autres termes, à la science de l’assurance ; et plus la morale sociale se ramènera à l’art d’employer avantageusement pour le bien de tous ce besoin de se risquer (cette fois, c’est Guyau qui souligne) qu’éprouve toute vie individuelle un peu puissante. En d’autres termes, on tâchera de rendre assurés et tranquilles les économes d’eux-mêmes (souligné par Guyau), tandis qu’on rendra utiles ceux qui sont pour ainsi dire prodigues d’eux-mêmes (souligné par Guyau). » Nietzsche met un double trait en face du passage, avec la note bien. Il y a là un important accord théorique et pratique des deux penseurs.

Page 221 : « On devrait offrir toujours un certain nombre d’entreprises périlleuses à ceux qui sont découragés de vivre (souligné par Nietzsche). Le progrès humain aura besoin pour s’accomplir de tant de vies individuelles qu’on devrait veiller à ce qu’aucune ne se perde en vain. Dans l’institution philanthropique dite des dames du Calvaire, on voit des veuves se consacrer à soigner des maladies répugnantes et contagieuses ; cet emploi, au profit de la société, des vies que le veuvage a plus ou moins brisées et rendues inutiles est un exemple de ce qu’on pourrait faire, de ce qu’on fera certainement dans la société à venir. » En face de ce passage, par une heureuse opposition avec soi, le farouche ennemi de la pitié a mis : bien ! Il était d’ailleurs lui-même doux, pitoyable et bon.

Quelques lignes plus loin, Guyau remarque que, dans l’ordre social, il faudrait employer toutes les capacités : « Or, il y a des capacités spéciales pour les métiers périlleux et désintéressés, des tempéraments faits pour s’oublier et se risquer toujours eux-mêmes. Cette capa-

  1. Zarathoustra, trad. franç., page 158.