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nietzsche et l’immoralisme

à Nice et parut en août 1886. La Généalogie de la morale fut écrite en 1887. Le Crépuscule des idoles et l’Antéchrist sont de 1888. L’Irréligion de l’avenir de Guyau avait paru l’année précédente et avait eu un grand retentissement. Sans doute les principales idées métaphysiques et esthétiques de Nietzsche étaient déjà fixées depuis un certain nombre d’années ; je ne sais si ses idées morales étaient déjà parvenues à leur expression définitive ; en tous cas, elles n’avaient pas le caractère absolument « unique » et « nouveau » qu’il leur attribuait. Il ne fut pas inutile à Nietzsche de lire, de méditer et d’annoter Guyau.

Dans son beau livre sur Nietzsche, M. Lichtenberger a cru superflu de rappeler les similitudes entre les idées les plus plausibles de Nietzsche et les idées si connues de Guyau : ces similitudes lui paraissaient évidentes d’elles-mêmes. M. Jules de Gaultier a éprouvé sans doute le même sentiment, en écrivant pour le Mercure de France une remarquable étude intitulée : De Kant à Nietzsche, et publiée ensuite en volume. D’autres enthousiastes de Nietzsche ont affecté d’ignorer le nom de Guyau. En France, toute mode rare doit-elle donc venir d’outre-Rhin, d’outre-Manche ou de Scandinavie ? Made in Germany, made in England, sont-ce les seules bonnes marques de fabrique ? Il est vrai que les penseurs français les plus hardis conservent, selon la tradition classique, la raison et même le sens commun ; les penseurs germaniques, eux, poussent l’outrance jusqu’au délire : par là ils attirent davantage l’attention, et leur enthousiasme pour les idées les plus étranges provoque une curiosité faite de stupeur.

« Heureusement », — et Nietzsche l’a dit lui-même, — « comme il y a toujours un peu de folie dans l’amour, ainsi il y a toujours un peu de raison dans la folie. » « Nos vues les plus hautes », ajoute Nietzsche (et Guyau l’avait remarqué aussi en d’autres termes), « doivent forcément paraître des insanités, parfois même des crimes, quand, de façon illicite, elles parviennent aux oreilles de ceux qui n’y sont ni préparés, ni destinés. » Lorsqu’on ne pénètre pas au sein d’une grande pensée, la perspective extérieure nous fait voir les choses « de bas en haut » ; quand, au contraire, on s’identifie par le dedans à cette pensée, on voit les choses dans la direction « de haut en bas ». Suivons donc le conseil de Nietzsche et efforçons-