Aller au contenu

Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ix
avant-propos

son « musée » ; c’est une sorte d’organisation scientifique au service d’une gloire nationale. Tandis que l’Allemand met tout son art, toute sa science et même tout son savoir-faire à grandir et à grossir chaque personnalité qui a vu le jour outre-Rhin ; tandis que, avec une piété érudite, il entasse commentaire sur commentaire pour faire du penseur allemand le centre du monde, nous, Français, ne faisons-nous point trop bon marché de nos propres gloires ? N’oublions-nous pas trop volontiers ceux qui furent, chez nous, les maîtres soit des Schopenhauer, soit des Nietzsche ? Ce dernier, en particulier, a eu pour prédécesseurs, non seulement La Rochefoucauld et Helvétius, mais encore Proudhon, Renan, Flaubert et Taine. Il a subi aussi l’influence de Gobineau, pour lequel il manifesta (comme Wagner) un véritable enthousiasme. Gobineau, en l’honneur duquel s’est fondée une société — en Allemagne, — avait soutenu l’inégalité nécessaire des races humaines, la supériorité de la race européenne et notamment de la race blonde germanique, la légitimité du triomphe de la race supérieure sur les inférieures, la sélection aristocratique au profit des nationalités composées des races les meilleures. Les idées de Gobineau se retrouvent dans celles de Nietzsche sur l’aristocratie des races et sur la possibilité d’élaborer une espèce supérieure, qui mériterait de s’appeler surhumaine.

Nietzsche a encore eu, sur certains points, pour devancier en France un philosophe-poète dont presque tous les commentateurs allemands de Nietzsche ont trop souvent passé le nom sous silence et dont la plus simple justice oblige les Français à rappeler les titres. En même temps que Nietzsche se trouvait à Nice et à Menton, comme nous l’avons l’appelé plus haut, un jeune penseur, poète comme lui, philosophe comme lui, touché comme lui dans son corps par la maladie, mais d’un esprit aussi sain que ferme, prédestiné, lui aussi, à une vie de souffrance et à une mort plus prématurée que celle de Nietzsche. La même idée fondamentale de la vie intense et expansive animait ces deux grands et nobles esprits, aussi libres l’un que l’autre de préjugés, même de préjugés moraux. L’Esquisse d’une morale sans obligation ni sanction de Guyau parut en 1885 ; Par delà le bien et le mal de Nietzsche fut écrit pendant l’hiver de 1885 à 1886