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nietzsche et l’immoralisme

plume sous des habits, dans des circonstances toutes semblables. » Chaque individu existe à un nombre infini d’exemplaires, « Il possède des sosies complets et des variantes de sosies. » En 1878, le célèbre naturaliste allemand de Nægeli prononçait, dans son discours sur les Bornes de la Science, ces paroles que les commentateurs de Nietzsche ne semblent pas connaître et que, pour notre part, nous avions notées : « Puisque la grandeur, la composition et l’état de développement restent dans des limites finies, les combinaisons possibles forment un nombre infiniment grand, d’après l’expression consacrée, mais non encore infini. Ce nombre épuisé, les mêmes combinaisons doivent se répéter. Nous ne pouvons éviter cette conclusion par l’objection que des sextillions de corps célestes et de systèmes célestes ne suffisent pas pour épuiser le nombre des combinaisons possibles ; car les sextillions sont même moins dans l’éternité qu’une goutte d’eau dans l’Océan. Nous arrivons ainsi à cette conclusion rigoureusement mathématique, mais répugnante à notre raison, que notre terre, exactement comme elle est maintenant, existe plusieurs fois, même infiniment de fois, dans l’univers infini, et que le jubilé que nous célébrons aujourd’hui se célèbre juste en ce moment-ci dans beaucoup d’autres terres[1]. » On voit que le retour éternel dans le temps peut et doit se compliquer de la répétition simultanée à l’infini, d’une sorte de retour éternel dans l’espace, dont Nietzsche n’a pas parlé.

Les commentateurs de Nietzsche ont aussi négligé de mentionner que, dans les Vers d’un philosophe, qui parurent en 1881, Guyau avait fait de l’analyse spectrale et de la répétition à l’infini le sujet d’une de ses plus belles pièces lyriques. Lui aussi, il avait vu que la conséquence la plus apparente et la plus immédiate de

  1. Von Nægeli, les Bornes de la Science, discours prononcé au Congrès des naturalistes allemands, session de Munich, en 1878, traduit dans la Revue scientifique du 13 avril 1878.