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le retour éternel

voir de se dépasser sans cesse, au moins en avait-il conclu, bien plus logiquement, que nulle combinaison, nulle forme ne peut être considérée comme liant la vie et épuisant sa puissance. « On ne pouvait, dit-il, voir et saisir le Protée de la fable sous une forme arrêtée que pendant le sommeil, image de la mort ; ainsi en est-il de la Nature : toute forme n’est pour elle qu’un sommeil, une mort passagère, un arrêt dans l’écoulement éternel et l’insaisissable fluidité de la vie. Le devenir est essentiellement informe, la vie est informe. Toute forme, tout individu, toute espèce ne marque qu’un engourdissement transitoire de la vie : nous ne comprenons et ne saisissons la nature que sous l’image de la mort. » De quel droit pourrions-nous donc condamner la nature et la vie à revenir sans cesse s’emprisonner dans les mêmes formes au lieu de se surmonter toujours elle-même ?

Guyau, dans son Irréligion de l’Avenir, examina sous toutes les faces le problème dont, à la même époque, sur les mêmes hauteurs de l’Engadine ou sur les mêmes bords méditerranéens, Nietzsche se tourmentait avec une angoisse si tragique. Depuis Héraclite jusqu’à Spencer, dit Guyau, les philosophes n’ont jamais séparé les deux idées d’évolution et de dissolution ; ne sont-elles point pourtant séparables ? Remarquons bien que jusques à présent il n’est pas d’individus, pas de groupe d’individus, pas de monde qui soit arrivé « à une pleine conscience de soi, à une connaissance complète de sa vie et des lois de cette vie » ; nous ne pouvons donc « ni affirmer ni démontrer que la dissolution soit essentiellement et éternellement liée à l’évolution par la loi même de l’être : la loi des lois nous demeure x ». Pour la saisir un jour, il faudrait « un état de pensée assez élevé pour se confondre avec cette loi même ». À plus forte raison ne pouvons-nous affirmer que la dissolution et l’évolution recommenceront toujours de la même manière et suivant la même loi circulaire. Et Guyau revient sur l’idée qu’il avait exprimée déjà sous une forme si poétique dans ses Vers d’un Philosophe :