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nietzsche et l’immoralisme

celui qui sait tantôt rire, tantôt admirer. On le voit, toutes les théories romantiques, les unes après les autres, défilent dans les œuvres de Nietzsche, qui ne s’en croit pas moins l’inventeur de chacune. La théorie de l’humour et du rire, empruntée à Jean-Paul, en est un nouvel exemple. On sait que Jean-Paul avait élevé à la hauteur d’une forme de sublime l’anéantissement de toutes choses, même les plus belles, devant l’infini, la raillerie rabaissant ce qui semblait grand, le rire s’envolant au-dessus de toutes choses, de la montagne comme de la mer, et, par l’énormité de ses saillies, par l’immensité même de son dédain, réduisant tout à l’infiniment petit. Tous les romantiques allemands se sont crus des Jupiter ébranlant l’Olympe de leur gros rire, érigeant en sublimités leurs traits d’esprit trop souvent comparables à des traits de bêtise. Même chez nous, quand Victor Hugo veut rire, on sait s’il nous attriste ! Nietzsche « crée » de nouveau cette vieille « valeur », le rire, mais il faut convenir qu’il la dore de toutes les splendeurs lyriques. Il érige le rire à la hauteur d’une religion ; il l’oppose à la religion trop sévère du Christ.

    Quel fut jusqu’à présent sur la terre le plus grand péché ? Ne fut-ce pas la parole de celui qui a dit : « Malheur à ceux qui rient ici-bas ! »
    Ne trouvait-il donc pas lui-même de sujet à rire sur la terre ? S’il en est ainsi, il a mal cherché. Un enfant même trouve ici des sujets.
    Celui-là — n’aimait pas assez : autrement il nous aurait aussi aimés, nous autres rieurs ! Mais il nous haïssait et nous honnissait, nous promettant des gémissements et des grincements de dents.
    Faut-il donc tout de suite maudire, quand on n’aime pas ? Cela — me parait de mauvais goût. Mais c’est ce qu’il fit, cet intolérant. Il était issu de la populace.
    Et lui-même n’aimait seulement pas assez : autrement il aurait été moins courroucé qu’on ne l’aimât pas. Tout grand amour ne veut pas l’amour : — il veut davantage.
    Écartez-vous du chemin de tous ces intolérants ! C’est là une espèce pauvre et malade, une espèce populacière : elle jette un regard malin sur cette vie, elle a le mauvais œil pour cette terre.