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culte apollinien et dionysien de la nature

    Écartez-vous du chemin de tous ces intolérants ! Ils ont les pieds lourds et les cœurs pesants : ils ne savent pas danser. Comment, pour de tels gens, la terre pourrait-elle être légère !
    Toutes les bonnes choses s’approchent de leur but d’une façon tortueuse. Comme les chats elles font le gros dos, elles ronronnent intérieurement de leur bonheur prochain, — toutes les bonnes choses rient.
    La démarche de quelqu’un laisse deviner s’il marche déjà dans sa voie : Regardez-moi donc marcher ! Mais celui qui s’approche de son but, — celui-là danse.
    Et, en vérité, je ne suis point devenu une statue, et je ne me tiens pas encore là engourdi, hébété, marmoréen comme une colonne ; j’aime la course rapide.
    Et quand même il y a sur la terre des marécages et une épaisse détresse : celui qui a les pieds légers court par-dessus la vase et danse comme sur de la glace balayée.
    Élevez vos cœurs, mes frères, haut, plus haut Et n’oubliez pas non plus vos jambes Élevez vos jambes, bons danseurs, et mieux que cela : vous vous tiendrez aussi sur la tête !
    Cette couronne du rieur, cette couronne de rosés, c’est moi-même qui me la suis mise sur la tête, j’ai canonisé moi-même mon rire. Je n’ai trouvé personne d’assez fort pour cela aujourd’hui.
    Zarathoustra le danseur, Zarathoustra le léger, celui qui agite ses ailes, prêt au vol, faisant signe à tous les oiseaux, prêt et agile, divinement léger.
    Zarathoustra le divin, Zarathoustra le rieur, ni impatient, ni intolérant, quelqu’un qui aime les sauts et les écarts, je me suis moi-même placé cette couronne sur la tête. »


Donnant un nom nouveau à une conception bien ancienne (que Schiller, entre autres, si méprisé de Nietzsche, avait exprimée avant Schopenhauer lui-même), Nietzsche appelle apollinienne la contemplation esthétique du monde, premier degré de l’initiation religieuse. L’adorateur du beau dit au monde et à la vie : « Ton image est belle, ta forme est belle, — quand on te contemple d’assez haut et d’assez loin pour que douleurs et misères se perdent dans l’ensemble : — je veux donc te contempler et t’admirer. » Rationnellement inintelligible, le monde n’en est pas moins esthétiquement beau. Renan avait déjà, lui aussi, représenté l’univers comme un immense spectacle qui offre au contemplateur dilettante les scènes les plus