Pourtant Zarathoustra n’est pas sans s’apercevoir de ce qu’il y a d’illusoire à prétendre agir sur le passé :
Volonté — c’est ainsi que j’appelle le libérateur et le messager de joie ; c’est là ce que je vous enseigne, mes amis ! Mais apprenez cela aussi : la volonté elle-même est encore prisonnière.
Vouloir délivre ; mais comment s’appelle ce qui enchaîne même le libérateur ?
— « Ce fut » — c’est ainsi que s’appelle le grincement de dents et la plus solitaire affliction de la volonté…
La volonté ne peut pas vouloir agir en arrière ; qu’elle ne puisse pas briser le temps et le désir du temps, c’est là la plus solitaire affliction de la volonté.
Que le temps ne recule pas, c’est là sa colère ; « ce qui fut », ainsi s’appelle la pierre que la volonté ne peut soulever.
Nietzsche nous montre alors la révolte impuissante
et folle de la volonté contre ce qui fut. Elle condamne
ce qui fut, ne pouvant le changer, elle veut le punir,
elle veut se venger. Elle devient l’esprit même de
vengeance, pour lequel Nietzsche eut toujours une
particulière horreur, et qui, à ses yeux, sous le nom de
sanction, est l’origine des religions, des morales mêmes.
Châtiment, c’est ainsi que s’appelle elle-même la vengeance ; avec un mot mensonger elle simule une bonne conscience.
Partout où il y a douleur, l’esprit de vengeance veut
voir « un châtiment », afin de justifier ainsi la douleur.
Et, dans cette doctrine, comme celui qui veut éprouver
de la souffrance, du fait même qu’il ne peut vouloir en
arrière, défaire ce qui est fait, « la volonté elle-même
et toute vie devraient être punition ». De là un esprit
de folie qui emporte la volonté à des systèmes comme
celui du brahmanisme ou comme celui de Schopenhauer,
condamnation de la vie et de la souffrance, qui
n’apparaissent plus que comme un châtiment.
Et ainsi un nuage après l’autre s’est accumulé sur l’esprit