Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/258

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
nietzsche et l’immoralisme

ce donc que la nature ? Il n’y a pas plus de nature que de dieu, πάντα ρεἴ. L’adoration de la nature n’a pas de sons. L’adoration du torrent universel ou nous roulons n’en a pas davantage. Amor fati est une formule vide. Le destin n’a pas besoin de mon amour.

Après avoir parlé d’ivresse et d’enthousiasme, Nietzsche est obligé finalement, en face de l’univers qu’il conçoit, de faire appel à notre courage ; et il le fait en accents héroïques.

    Il y a quelque chose en moi que j’appelle courage : c’est ce qui a tué jusqu’à présent en moi tout mouvement d’humeur…
    Car le courage est le meilleur meurtrier, — le courage qui attaque : car dans toute attaque il y a fanfare.
    L’homme, cependant, est la bête la plus courageuse ; c’est ainsi qu’il a vaincu toutes les bêtes. Aux sons de la fanfare, il a surmonté toutes les douleurs ; mais la douleur humaine est la plus profonde douleur.
    Le courage tue aussi le vertige au bord des abîmes ; et où l’homme ne serait-il pas au bord des abîmes ? Regarder même, n’est-ce pas regarder les abîmes ?
    Le courage est le meilleur des meurtriers ; le courage tue aussi la pitié. Et la pitié est le plus profond abîme ; aussi profondément que l’homme voit dans la vie, il voit dans la souffrance.
    Le courage est le meilleur des meurtriers, le courage qui attaque ; il finira par tuer la mort, car il dit : « Comment ? était-ce là la vie ? Allons ! recommençons encore une fois !
    Dans une telle maxime, il y a beaucoup de fanfare. Que celui qui a des oreilles entende !


Oui, nous croyons entendre. Ce courage, c’est une fanfare d’un nouveau genre, la fanfare de la résignation, qui jusqu’à présent s’exprimait plutôt par un soupir que par un cri de joie. " Allons recommençons encore une fois » Recommençons même une infinité de fois, et dans une infinité de lieux, umsonts ! recommençons les mêmes craintes, les mêmes espérances suivies des mêmes désillusions, les mêmes douleurs, les mêmes déchirements de cœur au moment des adieux.

Il y a chez Nietzsche des mots admirables qui font