Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/266

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
242
nietzsche et l’immoralisme



II


L’attitude de Zarathoustra à l’égard de la mort est de haut intérêt. La théorie de la mort (Platon l’avait compris) est une pierre de touche pour les philosophies. Schopenhauer rejetait la mort volontaire, comme une affirmation déguisée du vouloir-vivre, comme une preuve qu’on n’est pas encore détaché de tout désir, de toute passion, qu’on est simplement désireux de la jouissance ou, tout au moins, du repos et de l’absence de douleur. Nietzsche, lui, retourne à la théorie des anciens sur la mort volontaire :

    Il y en a beaucoup, dit-il, qui meurent trop tard et quelques-uns qui meurent trop tôt. La doctrine qui dit : Meurs à temps, semble encore étrange.
    Celui qui ne vit jamais à temps, comment devrait-il mourir à temps ? Qu’il ne soit donc jamais né ! Voilà ce que je conseille aux superflus.


Cette doctrine est d’ailleurs bizarre : car à quel signe reconnaîtra-t-on les superflus ? Et surtout comment reconnaîtront-ils eux-mêmes leur superfluité… jusqu’à ne pas naître ? Combien, d’ailleurs, semblent superflus qui rendent plus de services aux hommes que tels prétendus héros ?

Zarathoustra reproche aux superflus, non seulement de naître, mais de « faire les importants » ; devant la mort « même la noix la plus creuse prétend être cassée ».

<poem style="margin-left:5em; font-size:90%">

   Ils accordent tous de l’importance à la mort La mort n’est point encore une tète. Les hommes ne savent point encore comment on consacre les plus belles fêtes.
   Je vous montre la mort qui accomplit, la mort qui, pour les vivants, devient un aiguillon et une promesse.
   Celui qui accomplit meurt de sa mort, victorieux, entouré de ceux qui espèrent et promettent.
   C’est ainsi qu’il faudrait apprendre à mourir ; et il ne devrait pas y avoir de fête sans qu’un tel mourant ne sanctifie les serments des vivants !