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l’immoralisme de stirner

l’individu fait également place à « l’Homme véritable » En réalité, donc, « nous ne sommes pas plus avancés que nous ne l’étions au moyen âge ». L’homme moderne est, lui aussi, « emmuré de toutes parts ». — « Torturé d’une faim dévorante, tu erres, en poussant des cris de détresse, autour des murailles qui t’enferment, pour aller à la recherche du profane. Mais en vain. Bientôt l’Eglise couvrira la terre tout entière et le monde du sacré sera victorieux. » — On croit déjà entendre la voix et les âpres déclamations de Zarathoustra.

Ceux mêmes qui attaquent l’Église et l’État au nom de la moralité et de l’injustice en appellent encore, dit Stirner, à une autorité extérieure à la volonté égoïste de l’individu ; ils en appellent, en dernière analyse, à la volonté d’un « dieu ». Il n’y a d’autre réfutation vraie de la morale théologique que la suppression non seulement de la théologie, mais aussi de la morale elle-même. Une physique des mœurs ne peut devenir une morale que si elle se fait, inconsciemment, religieuse. Renonçons donc à toute morale proprement dite si nous voulons renoncer à toute théologie, et posons pour principe le Moi, sous le nom de l’Unique.

II. — Qu’est-ce pourtant que cet Unique ? peut-on demander. — Est-ce une idée nouvelle du moi, comme le crurent Feuerbach, Hess, Kuno Fischer, qui virent dans l’Individu un idéal nouveau, s’opposant à l’idéal Homme ? — Stirner leur répond en plaçant l’Unique au delà de la pensée. — Le moi que tu penses, dit-il, n’est encore qu’un « agrégat de prédicats » ; aussi peux-tu le « concevoir », c’est-à-dire le définir et le distinguer d’autres concepts voisins. « Mais toi, tu n’es pas vraiment définissable, tu n’as pas de contenu logique, tu es le réel inexprimable et irresponsable, contre lequel vient se briser la pensée. » L’Unique n’est qu’une phrase, et une phrase vide, c’est-à-dire pas même une phrase ; mais pourtant « cette phrase est la pierre sous laquelle sera scellée la tombe de notre monde des phrases, de ce