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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/28

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nietzsche et l’immoralisme

monde au commencement duquel était le moi ». L’individu réel n’étant donc pas une nouvelle idée que l’on puisse opposer à celle de l’Homme, l’Unique n’étant que moi dans mon fond et ma substance, mon égoïsme n’est nullement un nouvel « impératif », ni un nouveau « devoir » ; il est, comme l’Unique lui-même, une phrase, « mais c’est la dernière des phrases possibles, et destinée à mettre fin au règne des phrases. »

Le traducteur français de Stirner[1] n’a pas de peine à reconnaître ici le « moi profond et non rationnel » dont Nietzsche dira : « Ô mon frère, derrière tes sentiments et tes pensées se cache un maître puissant, un sage inconnu ; il se nomme toi-même (Selbst). Il habite ton corps, il est ton corps ».

Pour se débarrasser de tous les fantômes métaphysiques, religieux et moraux dont on tenterait de l’épouvanter, le Moi n’a qu’à les secouer d’un geste. « Un haussement d’épaules, dit Stirner, me rend le service de la réflexion la plus laborieuse ; je n’ai qu’à allonger mes membres pour dissiper les angoisses de mes pensées ; un saut écarte le cauchemar du monde religieux, un cri d’allégresse terrasse l’idée-fixe sous laquelle on me faisait plier durant tant d’années. » Cette idée-fixe, que Zarathoustra, lui aussi, écartera du même geste, c’est celle de l’impératif catégorique, de la moralité, de l’Esprit.

Stirner, parlant de lui-même dans un de ses petits écrits et précisant sa pensée, demande : « Est-ce à dire que, par son égoïsme, Stirner prétende nier toute généralité, faire table rase, par une simple dénégation, de toutes les propriétés organiques dont pas un individu ne peut s’affranchir ? Est-ce à dire qu’il veuille rompre tout commerce avec les hommes, se suicider en se mettant pour ainsi dire en chrysalide en lui-même ? » Et il répond à cette question topique : « Il y a dans le livre de Stirner un par conséquent capital, une conclusion

  1. Voir la préface de M. Reclaire, édit. Storck.