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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/275

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conclusion

valeurs » et ces transpositions de sentiments sont toujours possibles et renferment toujours une part de vérité, quels que soient les termes dans lesquels on transpose. Pour l’un, tout contiendra amour de soi ; pour l’autre, tout sera vouloir-vivre ; pour l’autre, amour de la puissance ; pour un autre, tout enveloppera un germe d’altruisme ; pour un autre, tout sera pensée consciente ou inconsciente : une passion sera pour Pascal « une précipitation de pensées », une passion sera pour certains psychologues d’Allemagne « un raisonnement inconscient », etc. D’où vient cette possibilité de tenter tant de réductions diverses et de « transvaluations » à propos de nos penchants personnels ou sociaux ? — D’un fait très simple : c’est que nos sentiments enveloppent toujours le tout de nous-mêmes et, avec le tout, les parties diverses, qu’on peut donc toujours retrouver. Il suffira d’appuyer sur un certain ordre de termes ou de « valeurs » pour les faire reconnaître dans toutes nos inclinations individuelles ou collectives. C’est ce qui fait que La Rochefoucauld avait pu trouver partout un élément d’amour de soi : n’est-il pas clair que jamais l’homme ne peut cesser, dans le plus grand acte de dévouement à la société entière, de s’aimer aussi lui-même, ne fût-ce que comme être capable de dévouement ? Nous avons vu Nietzsche se livrer à un autre jeu : retrouver partout la volonté de puissance. On pourrait aussi prendre un à un tous les péchés capitaux et prétendre que tous nos mouvements intérieurs se ramènent à des démarches de l’orgueil, ou, si vous l’aimez mieux, à des démarches de la volupté, à des démarches de l’avarice, de l’envie, de la paresse. L’activité même rentrerait dans la paresse, parce qu’elle suit la loi du moindre effort, etc. Mais on pourrait aussi prendre les vertus cardinales et en retrouver le germe partout : soit prudence, soit courage, soit tempérance. Il y aurait ainsi des valeurs pour tous les goûts. Littérateurs et poètes peuvent se complaire à ces vagues paradoxes ; le philosophe, lui, doit faire à chaque élément sa part exacte. Les « moralistes », en général,