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conclusion

lisme de Nietzsche, comme celui de Stirner, comme celui même de Guyau, se change en son contraire. Rappelons d’abord ce qui est arrivé pour Stirner. Dans un chapitre auquel il attachait la plus grande importance, Stirner avait tracé les grandes lignes de l’association des égoïstes, telle qu’il la concevait, résultant du libre choix des individus, par opposition à notre société actuelle, religieuse et hiérarchique. — Mais, lui a-t-on objecté avec raison[1], lui-même avait surabondamment répété auparavant que l’amour, le désintéressement, le loyalisme, etc., ne sont que des « travestissements de l’égoïsme », que la piété du croyant, le souci de l’égalité du bourgeois, la tendresse même de l’amant ne sont que des procédés, à vrai dire souvent méconnus, par lesquels « l’un exploite son dieu, l’autre l’État ou sa maîtresse », de sorte que la société présente réalise, en somme, « l’état de lutte de tous contre tous ». Or, en quoi l’association future des égoïstes pourra-t-elle différer, sinon par le caractère des armes employées, de la société actuelle ? L’égoïsme de ses uniques, rationalisé, se sera simplement débarrassé du vieil appareil de guerre en faveur d’un nouveau : ses combattants, semblables aux soldats des armées modernes, ne marcheront plus à l’ennemi « en brandissant des boucliers ornés de figures terribles destinées à effrayer l’ennemi quand elles ne les épouvantent pas eux-mêmes » ; aucun dieu, aucune déesse ne descendra plus du ciel « pour combattre à leurs côtés sous les traits augustes de la Morale, de la Justice ou de l’Amour ». L’égoïsme de Stirner est, pour tout dire en un mot, « un égoïsme — rationnel ». Le destructeur du rationalisme est donc resté lui-même, par la forme logique de son esprit, un « rationaliste » ; l’adversaire passionné du libéralisme est encore resté « un libéral ». Stirner rationaliste poursuit jusque dans ses derniers retranchements l’idée de Dieu et en démasque les dernières métamorphoses, mais « il n’aboutit fatalement qu’à une négation : l’individu et l’égoïsme ». Stirner

  1. Voir la Préface de M. Reclaire.