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nietzsche et l’immoralisme

libéral sape au nom de l’individu les fondements de l’État, mais, l’État une fois détruit, il n’aboutit lui-même qu’à une nouvelle négation, « anarchie ne pouvant signifier pour lui que désordre ». Si donc « l’État, régulateur de la concurrence, vient à disparaître, à celle-ci ne peut succéder que la guerre de tous contre tous »[1].

La « conception toute formelle de l’individu », adoptée par Stirner, explique ce caractère purement négatif de sa doctrine, du moins de la partie logiquement critique qu’elle renferme ; c’est un « rationalisme et un libéralisme conséquents, c’est-à-dire radicalement destructeurs »[2]. Mais ce serait cependant mutiler la pensée de Stirner et méconnaître l’importance de l’Unique et sa Propriété, de n’y voir que l’œuvre d’un logicien nihiliste. Stirner lui-même a dit de lui-même : « Stirner ne présente son livre que comme l’expression souvent maladroite et incomplète de ce qu’il voulut ; ce livre est l’œuvre laborieuse des meilleures années de sa vie, et il convient cependant que ce n’est qu’un à peu près. Tant il eut à lutter contre une langue que les philosophes ont corrompue, que tous les dévots de l’État, de l’Église, etc., ont faussée, et qui est devenue susceptible de confusions d’idées sans fin ![3] »

Quelle est donc la doctrine anarchiste positive qui doit surgir sur les ruines amoncelées par l’anarchisme négateur de Stirner ? Les théoriciens actuels de l’anarchisme positif nous la font entrevoir. Ils nous rappellent d’abord un résultat acquis, selon eux : c’est l’importance excessive qu’ont prise dans l’État les facteurs régulateurs sociaux aux dépens des facteurs actifs et producteurs. Les premiers libertaires avaient autrefois démonté la « machine de l’État » rouage par rouage et montré dans cette police sociale qui s’étend du roi jusqu’au garde champêtre et au juge de village « un instrument de

  1. M. Reclaire, Préface, ibid.
  2. Ibid.
  3. Die philosophischen Reactionære. Kl. Schriften, éd. Mackay, p. 183.