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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/293

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conclusion

hors de leur sphère légitime ; elle est la conséquence ou plutôt le principe même de tout le système. Comment donc déclarer non immorale une doctrine qui se définit elle-même comme « immoraliste » ? Dites, si vous voulez, qu’elle est vraie, qu’elle est selon la nature, et que c’est tant pis pour la morale. Nietzsche, d’ailleurs, proclame lui-même que sa doctrine s’adresse seulement à un petit nombre d’élus, qu’elle serait dangereuse si les hommes du commun la voulaient pratiquer, que la foule des médiocres doit vivre dans l’obéissance et la foi :

    Es-tu de ceux qui ont le droit de secouer un joug ? Il en est qui ont rejeté tout ce qui leur donnait quelque valeur en rejetant la servitude où ils vivaient.
    Es-tu une force nouvelle et une nouvelle loi ? Un premier mouvement ? Une roue qui tourne d’elle-même ? Peux-tu contraindre des étoiles à tourner autour de toi ?


C’est à lui-même, comme à tous les libertaires, que Nietzsche aurait dû adresser ces éloquentes apostrophes. S’il n’avait pas été aveuglé par une confiance en soi qui devait finir en démence, s’il s’était souvenu des principes mêmes de sa philosophie déterministe, il se serait répondu : — Nulle part, pas même en toi, il n’y a de force nouvelle : tout se tient dans l’univers, tout se tient dans l’humanité. Il n’y a pas de premier mouvement et, parmi tes gestes, celui que tu crois le plus personnel n’est qu’un anneau d’une chaîne infinie. Il n’y a point de roue qui tourne d’elle-même, et la grande roue du système solaire est mue par la machine céleste tout entière. Tu ne contraindras jamais des étoiles à tourner autour de toi.

Par quoi faut-il réfuter Nietzsche ? — Par lui-même. Si, dans ses œuvres riches de pensées, il a toujours placé le poison à côté de l’aliment, il y a toujours aussi placé le contrepoison. Par exemple, après avoir érigé, comme principe de toute idée morale et sociale, la volonté de puissance, il nous dit : « Toute bête, la bête philosophique