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nietzsche et l’immoralisme

comme les autres, tend instinctivement vers un optimum de conditions favorables, au milieu desquelles elle peut déployer sa force et atteindre la plénitude du sentiment de sa puissance ; toute bête a de même une horreur instinctive et une sorte de besoin subtil, supérieur à toute raison, pour toute espèce de troubles et d’obstacles qui se présentent ou pourraient se présenter sur la route vers l’optimum ; ce n’est pas de sa route vers le bonheur que je parle, mais de sa route vers la puissance, vers l’action, vers l’activité la plus large, — ce qui, en somme, dans la plupart des cas, est sa route vers le malheur[1]. » Cette parenthèse enferme, sans que Nietzsche s’en, aperçoive, la réfutation de tout son système. Sa prétention, en effet, n’était-elle pas de s’opposer au pessimisme de Schopenhauer, en substituant la triomphante volonté de puissance à la « volonté de vivre » toujours vaincue ? Et maintenant il reconnaît que le développement de la puissance ne mène pas au bonheur, mais, le plus souvent, au malheur. Comment donc persuadera-t-il à l’humanité que la route qui aboutit à la souffrance est aussi celle qui tend au meilleur, optimum ? Un tel optimiste est singulièrement pessimiste !

Non moins contradictoire est le dédain qu’il professe pour la vérité et pour cette recherche sincère de la vérité qui est la science. Comment ne s’aperçoit-il pas que la science est elle-même une « puissance », et l’une des plus grandes, qu’elle est la condition fondamentale de l’optimum poursuivi par l’homme ?

Enfin, vouloir que la puissance, la science et le bonheur se partagent un jour entre tous les hommes, c’est le bat même de la démocratie, qui prend pour moyen la justice, c’est-à-dire l’égalité des droits. Après avoir bafoué toute conception d’égalité, Nietzsche nous en adonné lui-même la meilleure formule : égalité pour les égaux, inégalité pour les inégaux.

Les erreurs de Nietzsche en éthique viennent de

  1. Généalogie de la morale, 3e dissertation, § 7.