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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/295

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conclusion

ce qu’il a négligé d’analyser et d’approfondir jusqu’au bout l’idée même de vie, de vitalité, de puissance vitale, sur laquelle il a voulu fonder sa doctrine des mœurs et sa théorie de la société. L’instinct de vivre est-il l’instinct de vivre n’importe comment et n’importe dans quel état ? Ou est-ce l’instinct de vivre plus ? ou est-ce l’instinct de vivre mieux ? Et en quoi le plus diffère-t-il ou ne diffère-t-il pas du mieux ? Et en quoi consiste le mieux lui-même, l’optimum ? Est-ce dans le plus de puissance ou dans une certaine qualité de puissance ? Est-ce dans le plus de jouissance ou dans une certaine qualité de jouissance ? « Il ne faut pas seulement vous multiplier, mais vous élever », dit avec raison Zarathoustra. — Mais les instincts les plus élevés ne sont-ils que les plus favorables à l’accroissement de la vie individuelle et spécifique ? — Individuelle, non sans doute, puisque ces instincts condamnent quelquefois l’individu au sacrifice ; spécifique, oui, s’il s’agit non pas seulement de la conservation pure et simple, mais d’un bonheur plus grand, ou plutôt d’un bonheur de qualité supérieure ; si bien qu’on finit par rouler dans un cercle et qu’il faut toujours en venir à déterminer le supérieur, l’optimum, indépendamment de la question de savoir si ce supérieur est réalisé dans un individu ou dans la collectivité des individus.

Si l’on se place exclusivement au point de vue du vouloir-vivre, on est obligé, comme Guyau l’a fait voir, de chercher le fondement de la morale : 1° dans le domaine de la puissance causale, non dans celui de la finalité, du désir réellement existant, non du désirable ; 2° dans le domaine commun de l’inconscient et du conscient, domaine qui est précisément le fond de la vie. Sur ces bases, Guyau et Nietzsche ont construit une éthique « sans obligation ni sanction » ; mais celle-ci, pour Guyau, représentait seulement la première assise d’une morale complète. C’est, selon nous, Guyau qui avait raison. La vraie et définitive morale, en effet, n’est plus une science qui puisse chercher son ressort propre dans l’unique domaine