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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/309

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conclusion

« loi de l’hétérogénéité des résultats par rapport aux intentions » : il soutient qu’il est impossible à l’intelligence de prévoir et de déterminer la fin à laquelle tend le progrès. Dès lors, l’idée de progrès demeure, comme celle de la loi dans Kant, une forme vide, sans aucun bien certain comme contenu, avec cette seule différence que, chez Kant, il s’agissait d’une forme immobile, tandis que, chez Wundt, il s’agit d’une forme mouvante. L’évolution devient un progrès vers un but entièrement inconnu et insaisissable ; nous ne savons rien sur le bien même, sur le fond de l’idéal, nous savons seulement que nous sommes en marche vers l’idéal. Mais, encore une fois, comment pouvons-nous le savoir ? La doctrine de l’évolution cosmique, à elle seule, nous apprend bien que nous évoluons, elle ne nous apprend pas par elle-même que cette évolution soit, en dernière analyse, un véritable progrès. La morale de l’évolution veut cependant que l’individu se soumette au progrès de l’ensemble et y coopère ; pour cela, il faut que l’individu mesure ce progrès à quelque idéal déterminé, au moins en partie, et que cet idéal, il le porte en lui. Ni Spencer, ni Wundt, ni Nietzsche ne l’ont déterminé. La détermination de ce principe est l’objet de la philosophie première, parce qu’il y a là quelque chose de radical et de premier à atteindre, autant du moins qu’il nous est possible. La valeur morale des actions ne peut exister que si on les considère du point de vue fondamental et fixe, non plus mouvant, de la philosophie générale. La science positive, biologique ou sociologique, petit bien parler de l’évolution des mœurs ; la philosophie seule, psychologique et cosmologique, peut parler de progrès moral ; seule aussi elle peut conférer à la règle morale une valeur définitive et souveraine, soit souverainement impérative, soit souverainement persuasive.

Si Nietzsche s’est inspiré de Wundt, le plus étonnant est que toute sa conception d’un progrès perpétuel en avant, d’un sursum sans fin, aboutisse à la théorie du retour