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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/310

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nietzsche et l’immoralisme

éternel et circulaire, qui en est la réduction au néant. L’écureuil en cage se persuade qu’il se surmonte toujours lui-même, alors qu’il n’a fait que tourner sans cesse sur lui-même. On comprendrait encore une doctrine de perfectibilité sans fin où l’intelligence ne ferait, que trouver des voies et formes passagères pour une volonté à la recherche d’une satisfaction infinie, qui doit être, en somme, une félicité infinie. Mais qu’est-ce qu’une doctrine de progrès infini qui s’enferme dans le cercle fini du retour des mêmes choses ? Le jour où Nietzsche s’est épris de cette idée, qui, comme on l’a vu, n’était pas originale, on peut dire que la démence était déjà installée dans son système.

Ce qu’on peut conclure des doctrines de Guyau et de Nietzsche, c’est que l’idée de la moralité ne peut pas être en opposition irréductible avec la nature et avec la vie ; la fin à poursuivre ne peut pas être en contradiction avec la cause qui doit la réaliser. Il doit y avoir ce que Guyau appelle une « coïncidence » entre la finalité et la causalité. Pour être possible, la conciliation des fins individuelles et des fins universelles, qui est l’objet propre de la morale, ne doit pas être absolument contraire à la nature de l’homme, à la tendance essentielle de la volonté humaine. Il faut que l’idéal, qui est l’harmonie de l’individu avec le tout, ait déjà quelque fondement dans la réalité ; sans quoi ce ne serait plus une idée-force, ce serait une pure utopie, réalisable seulement par le miracle de la grâce surnaturelle. La possibilité d’une morale exige donc que l’idéal soit déjà en partie réalisé chez l’homme, qu’il y ait actuellement en nous un point de jonction entre l’idéal et le réel, d’où puisse s’étendre plus loin l’harmonie commencée ; il faut que la fusion de la volonté individuelle et de la volonté universelle soit déjà accomplie au cœur de notre être, dans le punctum saliens, pour que de là elle puisse rayonner et envahir peu à peu l’être entier. En un mot, il faut que l’individu même ait, je