et, en tout cas, ne serait que la stérilité d’un petit monde
qui, malgré ses constellations, n’est par rapport à l’océan
de l’être qu’une goutte d’eau et un atome. Le seul
refuge de l’espérance, c’est l’idée de l’infinité. En bornant
la fécondité de l’être, en limitant cette puissance dont le
désir est immanent à l’être, en enfermant l’insaisissable
devenir dans les cadres géométriques de périodes
toujours semblables, en faisant de la vie un sablier
toujours retourné, Nietzsche s’est immobilisé dans l’idée
du fini. Lui qui voulait s’élancer au delà même du bien
et du mal, que ne s’est-il élancé par delà les
mathématiques et la physique pour affirmer, non pas l’incurable
pauvreté, mais l’infinie richesse de la vie ? C’est à ce prix
seulement qu’il eût pu éprouver l’ivresse de ceux qui
commencent à entrevoir de loin les suprêmes mystères.
La résignation au retour perpétuel des choses, à
l’eadem sunt omnia semper (auquel il faut ajouter : et ubique),
n’est que la résignation forcée du stoïcien ou de
l’épicurien à l’ordre de la nature. Ce n’est pas la grande et
libre révolte de l’esprit contre la nature, ce n’est pas la
grande guerre pour le nouveau et pour l’en avant.
Nietzsche en est resté au naturalisme païen, sans même
arriver à comprendre ni le sens du christianisme, ni
le sens de l’idéalisme contemporain. Les élans sublimes
de son lyrisme ne réussissent pas à voiler les
contradictions et les impuissances de sa pensée philosophique.
« Penche-toi sur ton propre puits, nous dit-il, pour
apercevoir tout au fond les étoiles du grand ciel. »
Lui-même, pendant sa vie entière, s’est ainsi penché sur
soi, mais le vertige l’a pris, et les étoiles du grand ciel
se sont confondues à ses yeux dans une immense
nuit.
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