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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/32

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nietzsche et l’immoralisme

volonté de l’individu égoïste, dans cet Unique du logicien, la science nous fait entrevoir le fond commun à tous sur lequel doivent se lever, par delà les mensonges de la fraternité et de l’amour chrétiens une solidarité nouvelle, et, par delà les mensonges de l’autorité et du droit, un ordre nouveau. C’est sur cette terre féconde — que Stirner met à nu — que le grand négateur tend par-dessus cinquante ans la main aux anarchistes d’aujourd’hui.[1]»

On le voit, l’anarchisme théorique a fini par devenir de nos jours un monisme à la Spinoza et à la Schopenhauer : l’Unique, qui n’était d’abord qu’un individu et un ego, s’est, transformé en ce fond commun à tout que « la Science » nous fait entrevoir, que la « philosophie » dégage seule. L’Unique = l’Un-Tout. De même, nous verrons la vie dont parle Nietzsche, — et qui était d’abord sa vie, — se changer en la Vie universelle. Les anarchistes finissent par prêcher la solidarité, ils prêchent même l’ordre, un ordre nouveau, ordre naturel selon eux, qui se substituera à l’ordre artificiel de la Politique, de la Religion et de la Morale.

En présence de cette évolution d’idées, un Stirner conséquent ne pourrait-il encore s’écrier : — Cet Unique commun à tous, que vous voulez substituer à mon unique, qui est moi, ce n’est encore qu’un nom de Dieu : c’est le mundus deus implicitus de Spinoza. Vous me volez mon moi au profit d’une idée !

Il est vrai qu’on pourrait lui répliquer : Votre moi, comme tel, n’est lui-même qu’une idée, une forme sous laquelle votre être profond et caché s’apparaît. De deux choses l’une : si cet être profond n’est que vous, non les autres, s’il est vraiment individuel, rien ne pourra unir les égoïsmes ; s’il est à la fois vous, moi et tous, ne vous appelez plus vous-même l’unique, et reconnaissez la fausseté de l’égoïsme, comme celle de l’anarchisme.

  1. Préface du traducteur, ibid.