En somme, devant le rationalisme platonicien, chrétien et hégélien, Stirner a beau dresser l’individu, il ne voit pas que son individualité absolue est elle-même une idée. La dialectique de Stirner a beau s’envelopper de formules hégéliennes, elle est une survivance des cyniques et des sophistes. Elle n’en a pas moins le mérite d’être la seule forme absolument logique de l’individualisme exclusif. « Je suis l’Unique », vous êtes l’Unique, nous sommes les Uniques, — c’est à cette absurdité qu’aboutit le système, ou plutôt c’est cette absurdité qui en est le point de départ.
On a fort justement dit de Nietzsche que sa destruction
de la table des valeurs actuellement admises est d’un
Stirner qui, au lieu de Hegel, aurait eu Schopenhauer
pour éducateur. Stirner donnait déjà une telle valeur
à la volonté d’étendre sa puissance, que cette volonté
apparaissait comme « la force fondamentale de l’être
humain » ; c’était donc déjà le « Wille zur Macht » de
Nietzsche. Il est possible que ce dernier n’ait pas lu
Stirner ; mais il est impossible qu’il n’en ait pas entendu
parler comme de l’enfant terrible de la gauche
hégélienne, et ce qui est certain, c’est qu’il a repensé sa
pensée[1].
- ↑ Stirner figure dans toutes les histoires de la philosophie allemandes ou françaises (y compris même la nôtre, quelque élémentaire que celle-ci soit par sa destination classique). Il est donc difficile que le fond des doctrines de Stirner soit demeuré inconnu pour le docte professeur de Bâle, qui devait se faire le chantre de Zarathoustra.