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part de socialité selon guyau

même, dit Guyau, « comme un agent de désintégration ». L’excès de la douleur sur le plaisir dans l’espèce est donc « incompatible avec la conservation de l’espèce ». Une race pessimiste n’aurait pas besoin, pour en finir avec la vie, du coup de théâtre burlesque, du suicide collectif dont parle M. de Hartmann ; elle s’éliminerait par un affaissement lent et continu de la vie : « une race pessimiste et réalisant en fait son pessimisme, c’est-à-dire augmentant par l’imagination la somme de ses douleurs, une telle race ne subsisterait pas dans la lutte pour l’existence ». Si l’humanité et les autres espèces animales subsistent, c’est précisément que la vie n’est pas trop mauvaise pour elles. « Ce monde n’est pas le pire des mondes possibles, puisqu’en définitive il est et demeure. Une morale de l’anéantissement, proposée à un être vivant quelconque, ressemble donc à un contresens. Au fond, c’est une même raison qui rend l’existence possible et qui la rend désirable ».

C’était là une réfutation décisive des exagérations du pessimisme. Nietzsche dira la même chose en termes presque semblables : au lieu de « désintégration vitale », il dira « décadence vitale » ; lui aussi, il considérera le pessimisme comme à la fois effet et cause de dégénérescence, comme une doctrine de « nihilisme ».

III. — Dans les Problèmes de l’esthétique contemporaine, Guyau avait surtout insisté sur le caractère vital du beau et sur la profondeur de l’art, qui, à ses yeux, n’est pas un « jeu », mais un sens intime de la vie et de ses plus secrètes puissances, les plus nécessaires à la conservation de l’individu et de l’espèce. Comme Guyau, Nietzsche placera la beauté dans le sentiment de la vie intense et saine. « Rien n’est laid, dira-t-il si ce n’est l’homme qui dégénère… Nous entendons le laid comme un signe et un symptôme de la dégénérescence ; ce qui rappelle de près ou de loin la dégénérescence provoque en nous le jugement du laid. Chaque in-