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nietzsche et l’immoralisme

dice d’épuisement, de lourdeur, de vieillesse, de fatigue, toute espèce de contrainte, telle que la crampe, la paralysie, avant tout l’odeur, la couleur, la forme de la décomposition, — serait-ce même dans sa dernière atténuation, sous forme de symbole, — tout cela provoque la même réaction, le même jugement : laid. Une haine jaillit ; qui l’homme hait-il ici ? — Mais il n’y a à cela aucun doute : l’abaissement de son type. Il hait du fond de son plus profond instinct de l’espèce ; dans cette haine il y a un frémissement de la prudence, de la profondeur, de la clairvoyance ; — c’est la haine la plus profonde qu’il y ait. C’est à cause d’elle que l’art est profond[1]».

Le sérieux de l’art, par opposition à la théorie du jeu dans l’art, voilà donc encore une croyance commune à Guyau et à Nietzsche. Tous deux, en conséquence, ont combattu l’art pour l’art, soutenu l’art pour la vie et par la vie. « Lorsque l’on a exclu de l’art le but de moraliser et d’améliorer les hommes, dit Nietzsche, il ne s’ensuit pas encore que l’art doive être absolument sans fin, sans but et dépourvu de sens, en un mot, l’art pour l’art — un serpent qui se mord la queue. — « Plutôt pas de but du tout, qu’un but moral ! » — ainsi parle la passion pure. Un psychologue demande, au contraire : que fait toute espèce d’art ? ne loue-t-elle point ? ne glorifie-t-elle point ? n’isole-t-elle point ? Avec tout cela, l’art fortifie ou affaiblit certaines évaluations… N’est-ce là qu’un accessoire, un hasard ? Quelque chose à quoi l’instinct de l’artiste ne participerait pas du tout ? Ou bien la faculté de pouvoir de l’artiste n’est-elle pas la condition première de l’art ? L’instinct le plus profond de l’artiste va-t-il à l’art, ou bien n’est-ce pas plutôt au sens de l’art, à la vie, à un désir de vie ? L’art est le grand stimulant à la vie : comment pourrait-on l’appeler sans fin, sans but, comment l’appeler l’art pour l’art ? »[2].

Guyau, après avoir démontré, dans les Problèmes de

  1. Crépuscule des idoles, § 20.
  2. Crépuscule des idoles, § 24.