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nietzsche et l’immoralisme

l’état actuel et l’état idéal qui est posé par la volonté même comme sa fin. Comment donc la vie se surmonte-t-elle ? Est-ce en vivant plus ? en vivant mieux ? Pour Nietzsche, cela veut simplement dire : en acquérant plus de puissance et de domination.

« Partout, dit-il, où j’ai trouvé ce qui est vivant, j’ai entendu la parole d’obéissance. Tout ce qui est vivant est une chose obéissante.

« Et voici la seconde chose. On commande à celui qui ne sait pas s’obéir à lui-même. C’est là la coutume de ce qui est vivant.

« Voici ce que j’entendis en troisième lieu : — Commander est plus difficile qu’obéir. Car celui qui commande porte encore le poids de tous ceux qui obéissent, et cette charge l’écrase facilement.

« Commander m’est toujours apparu comme un danger et un risque[1]. Et toujours, quand ce qui est vivant commande, ce qui est vivant risque sa vie.

« Et quand ce qui est vivant se commande à soi-même, il faut encore que ce qui est vivant expie son autorité. Il faut qu’il soit juge, vengeur et victime de ses propres lois.

« Comment cela arrive-t-il donc ? me suis-je demandé. Qu’est-ce qui décide ce qui est vivant à obéir, à commander et à être obéissant même en commandant ?

« Écoutez donc mes paroles, vous, les plus sages Examinez sérieusement si je suis entré au cœur de la vie, jusqu’aux racines de son cœur !

« Même dans la volonté de celui qui obéit j’ai trouvé la volonté d’être maître.

« Que le plus fort domine le plus faible, c’est ce que veut la volonté, qui veut être maîtresse de ce qui est plus faible. C’est là la seule joie dont il ne veuille pas être privé.

« Et, comme le plus petit s’abandonne au plus grand, — car le plus grand veut jouir du plus petit et le dominer, — ainsi le plus grand s’abandonne encore et risque sa vie pour la puissance.

  1. Cf. Guyau, sur le risque (Voir plus loin).