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la volonté de puissance et le vouloir-vivre


« C’est là l’abandon du plus grand : qu’il y ait témérité et danger et que le plus grand joue sa vie.

« Et où il y a sacrifice et service rendu et regard d’amour, il y a aussi la volonté d’être maître. C’est sur des chemins détournés que le plus faible se glisse dans la forteresse et jusque dans le cœur du plus puissant — c’est là qu’il vole la puissance[1]. »

Qu’est-ce donc que cette puissance dont parle si poétiquement Zarathoustra ? Nulle part elle n’est définie, elle est partout représentée comme une sorte de fuite perpétuelle au-dessus de soi-même et aussi au-dessus des autres ; mais qu’est-ce que cet « au-dessus » ?

« Il y a bien des choses que le vivant apprécie plus haut que la vie elle-même ; mais c’est dans ces appréciations elles-mêmes que parle la volonté de puissance ! » Donc, selon Nietzsche, en appréciant quelque chose au-dessus de la vie, on place la puissance au-dessus de la vie. Que peut être, encore une fois, cette puissance, sinon la vie universelle elle-même, puissance qui s’agite éternellement dans le monde, qui va toujours plus loin et plus haut que tout individu et toute valeur particulière ?

« En vérité, je vous le dis : le bien et le mal qui seraient impérissables n’existent pas. Il faut qu’ils se surmontent toujours de nouveau eux-mêmes.

« Mais une puissance plus forte grandit de vos valeurs et une nouvelle victoire sur soi-même, qui brise les œufs et les coquilles d’œufs. »

On voit qu’il s’agit, en dernière analyse, d’une force de progrès que rien n’arrête, et que rien aussi ne peut définir. Chaque être dit : Je veux pouvoir ; pouvoir quoi ? je l’ignore, mais partout où il y a pouvoir à exercer, je l’exerce, et quand je l’ai exercé, je veux pouvoir plus encore. Ce principe fondamental de Nietzsche, cette insatiable « faim » de puissance ressemble fort à l’antique « soif de l’infini ».

  1. Ainsi parla Zarathoustra, trad. Albert. De la victoire sur soi-même, p. 157 et suiv.