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le vrai comme volonté de puissance

parce qu’elle supplée à un mécanisme marchant tout seul, c’est ce que ni Maudsley ni Nietzsche ne nous expliquent. En outre, pourquoi Nietzsche veut-il amplifier la conscience même, la conscience de la vie, de la force, du mouvement, de la puissance, de la ruse, de la joie débordante ? Si l’être conscient n’a pas plus de valeur que l’être inconscient, si l’homme qui pense est une machine moins parfaite qu’un infusoire sans pensée, pourquoi poursuivre un type d’intelligence supérieure et de conscience supérieure ?

Il est clair que Nietzsche n’a su ni harmoniser ni dépasser les théories qui étaient en faveur de son temps. Il est contradictoire de rabaisser, comme il le fait, la pensée au rang de mal nécessaire ou de pis-aller, et de s’écrier ensuite : « Mieux vaut faire mal que penser petitement », comme si la grandeur de la pensée dépassait tout et ne pouvait s’acheter assez cher. Et il n’est pas moins contradictoire de s’imaginer que celui qui pense grandement sera porté à agir en « homme de proie » ; on ne voit pas que les Néron et les Borgia aient pensé si grandement.

Nietzsche a supprimé tout but et tout sens de l’existence universelle, et cependant, comme nous le verrons, il prétendra conserver l’idée du « héros », qui, se donnant à lui-même un but, le donne aussi à tout le reste. Comment le héros déterminera-t-il un tel but, sinon par un acte de l’intelligence qui peut toujours se juger, ou par un élan du cœur qui peut toujours s’apprécier ? Et qu’importe, d’ailleurs, le but que se posera le surhomme, si la Nature, — comme Nietzsche le prétendra lui-même, — oppose à ce but un non inflexible et écrase le Surhomme avec tout le reste ?

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