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la critique de la morale

d’une morale, aboutissant à des doit, à des impératifs. — Hypothétiques ! — Peut-être, mais enfin à des impératifs, dont il faut discuter la valeur. Pourquoi donc Zarathoustra se croit-il « unique », comme Max Stirner ? Nous prétendons tous, nous autres moralistes, rectifier tant que nous pouvons, les jugements de l’humanité sur la meilleure conduite à suivre ; nous admettons tous, par cela même, qu’il y a des choses meilleures que d’autres. Si Nietzsche parle comme tout le monde, il n’y a pas lieu, comme il le propose, d’inaugurer une hégire par son nom.

Où donc, où donc enfin commencera l’originalité de Nietzsche ? — Il ne lui reste absolument plus qu’une seule chose à faire : oublier ce qu’il vient de dire et prendre en tout le contre-pied des jugements moraux de l’humanité, soutenir que tout ce qu’elle appelle le bien est précisément mauvais, que tout ce qu’elle appelle le mal est précisément bon. L’humanité doit brûler toutes les prétendues vertus qu’elle avait adorées et adorer tous les prétendus vices, « haine, cruauté, violence, orgueil, etc. ». Changement à vue. « Au fond, toutes les grandes passions sont bonnes, peur peu qu’elles puissent se donner carrière brusquement, que ce soit la colère, la crainte, la volupté, la haine, l’espérance, le triomphe, le désespoir ou la cruauté.[1] » — Mais d’abord, comment Nietzsche peut-il concilier cette thèse absolue avec l’aveu de tout à l’heure, qu’une foule d’actions réputées mauvaises sont en effet mauvaises, quoique pour des raisons autres que les raisons mystiques ou les raisons superstitieuses ? Si « la volupté, le désir de domination et l’égoïsme » sont « les biens par excellence », comme Zarathoustra le soutient, aucune action mauvaise n’est plus à éviter, car on pourra justifier toute action mauvaise au nom de ces trois principes. Ce n’est pas seulement le « christianisme », ce sont toutes les grandes morales et toutes les grandes philosophies

  1. Généalogie de la morale, pp. 15-20.