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nietzsche et l’immoralisme

qui, en chœur, ont condamné l’égoïste, le voluptueux et le violent. Aussi, pour soutenir sa radicale « transmutation des valeurs », Nietzsche va-t-il être obligé d’aller jusqu’au bout et de changer l’originalité en excentricité, pour ne pas dire en extravagance.

Déjà M. de Hartmann, si méprisé de Nietzsche, avait dit : « Faust appelle du nom de Méphistophélès cette puissance qui éternellement veut le mal et qui éternellement engendre le bien. Gœthe a trouvé en cet endroit la meilleure expression pour rendre le rôle de ce Diable absurde dont parle la légende allemande, qui est toujours déçu par les buts qu’il se propose et dont les efforts aboutissent au contraire de ce qu’il a voulu. Chaque volonté perverse individuelle doit aussi être regardée comme une partie de cette puissance qui éternellement veut le mal et perpétuellement engendre le bien..... La volonté perverse ne joue pas dans l’univers un rôle purement négatif ; elle n’est pas un accident qu’il faille éliminer. Mais elle est quelque chose de positif et représente un facteur essentiel du procès téléologique inconscient… Pour celui qui est habitué à ce point de vue d’une téléologie inconsciente, d’après les conceptions de Schelling et de Hegel, pour celui-là il est indubitable que les conséquences utiles indirectes du mal ne sont qu’un cas particulier de la loi historique générale qui veut que les, hommes sachent rarement et obscurément les buts auxquels ils tendent et que ces buts se transforment dans leurs mains en fins toutes différentes. Cela peut être appelé l’ironie de la nature et n’est qu’une suite des ruses de l’Idée inconsciente…[1] » Nietzsche ira plus loin : il verra dans le mal une utilité directe et vitale. Son volume, interrompu par la folie, sur la Volonté de puissance, devait être l’essai promis d’une transmutation absolue des valeurs. Le troisième livre de cet ouvrage était intitulé : L’immoraliste, critique de

  1. Au fond, c’est une providence sous un autre nom et une paraphrase du felix culpa !. Voir Hartmann, Das sittliche Bewusstsein, p. 589.