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nietzsche et l’immoralisme

pas fait jusqu’à présent plus de mal à la vie que n’importe quelles choses épouvantables, que n’importe quels vices[1] ! » — Dites : la fausse humilité, la chasteté mal entendue, la pauvreté vile, insoucieuse et dégradante, en un mot la fausse sainteté ; mais ces maux eux-mêmes, êtes-vous sûrs qu’ils ont fait plus de mal à la vie que l’orgueil insolent, la débauche effrénée, la richesse égoïste et l’amour insatiable de l’or ? Je comprends qu’un moine ne soit pas l’idéal ; mais je comprends encore moins qu’un condottiere le soit.

« Christianisme, alcoolisme, dit Nietzsche à la fin de l’Antéchrist, les deux grands moyens de corruption ! » De quel droit blâme-t-il l’homme qui s’enivre, lui qui a fait du plaisir et de la volupté une vertu ? Puisqu’il transmute toutes les valeurs, au lieu de : Soyez tempérants, il doit dire : Soyez intempérants !

« On se méprend profondément, s’écrie-t-il encore, sur les bêtes de proie et sur l’homme de proie, par exemple sur César Borgia ; on se méprend sur la nature tant qu’on cherche une disposition maladive ou même un enfer inné au fond de toutes ces manifestations monstrueuses et tropicales, les plus saines qui soient ; comme l’ont fait jusqu’à présent les moralistes. Les moralistes nourrissent-ils une haine à l’égard de la forêt-vierge et des tropiques ? L’homme des tropiques doit-il à tout prix être discrédité, soit comme maladie et comme décadence de l’homme, soit comme son propre enfer et sa propre torture ? Pourquoi donc ? Au profit des zones tempérées ? Au profit des hommes modérés, des moralisateurs, des médiocres ? Cela pour le chapitre : « La morale comme une forme de la timidité.[2]. » — Nietzsche aurait pu ajouter un autre chapitre : la morale comme forme du courage et de la maîtrise de soi. Si un homme de tempérament tropical acquiert assez de raison et de force d’âme pour résister à ses passions brutales, l’appellerez-

  1. Antéchrist, § 8.
  2. Par delà le Bien et le mal, § 195.