Page:Fourier - Sur l'esprit irréligieux des modernes et dernières analogies 1850.djvu/27

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Voilà déjà l’immense majorité du genre humain claquemurée dans les brasiers éternels. Reste à loger un quart de la population, les deux cent millions de chrétiens parmi lesquels l’enfer engloutit d’abord tous les juifs, et ceux-là, vu leur extrême fourberie, ne méritent guère de pitié.

Il engloutit tous les protestants de l’église réformée, les Anglais, Écossais, Suédois, Danois, Prussiens, Hollandais, Livoniens, la majorité des nations germaniques et des cantons suisses, la presque totalité des États-Unis d’Amérique, etc. ; etc. Tous ces peuples sont autant de victimes dévouées pour l’éternité aux brasiers, serpents et tortures de l’enfer, sans exception pour aucun individu, puisqu’ils sont hors de l’Église romaine, qu’ils connaissent fort bien, sans vouloir s’y agréger. L’enfer engloutit nécessairement les Russes, Moldaves et schismatiques de la communion grecque. Ils ne sauraient être sauvés, puisqu’ils sont en scission très-obstinée avec le pape. S’ils échappaient à la géhenne, il s’ensuivrait que tout gouvernement peut sans péril méconnaître l’unité et l’autorité romaine, établir des schismes, changer les rites, etc. Bonaparte même n’a pas osé le faire. Il est resté dans l’unité romaine, et pourtant il est excommunié. Donc les Grecs, Russes, etc., qui rompent le lien d’unité, dénigrent le pape et modifient les rites et liturgies, sont damnés sans qu’il y ait lieu à délibérer, ou bien il y aurait voie de salut hors de l’église romaine, ce qu’elle n’admet aucunement.

Restent les nations de catholiques, apostoliques et romains. Si l’on veut balancer les chances de salut et de réprobation, il est évident que les neuf dixièmes d’entre eux tomberont encore dans les brasiers éternels ; — et d’abord l’enfer engloutit tous les riches, car, selon l’Écriture, il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, qu’à un riche d’entrer dans le royaume des cieux, assertion qui damne bien formellement tous les riches, ou au moins les quatre-vingt-dix-neuf centièmes.

Parlerai-je de la classe moyenne, des marchands, des procureurs, dont chaque parole est un mensonge et chaque action une friponnerie ? Ceux-là sont damnés de toute voix, et si l’enfer n’existait pas, il faudrait le créer pour eux.

Quant à la pauvre populace, qui, par ses privations, prend dès ce monde un avant-goût de l’enfer, elle se peut guère y échapper dans l’autre monde, en vertu de la maxime : « Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus. » Or, les pauvres plébéiens qui n’ont pas de quoi conjurer l’orage par des oblations, et qui d’ailleurs se damnent à chaque instant par leur ivrognerie et autres inclinations sensuelles, ne peuvent guère prétendre à cette béatitude céleste dont le trappiste le plus austère n’ose pas se juger digne, quoique passant sa vie dans les austérités. Com-