Page:Fourier - Sur l'esprit irréligieux des modernes et dernières analogies 1850.djvu/60

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tributive du commerce, qui est la seule utile, peut s’opérer par un vingtième des agents, les dix-neuf vingtièmes sont parasites, je le prouve en note[1], et de plus rebutants, comme l’araignée l’est par sa

  1. Pour juger exactement des faussetés du commerce, recourons à l’hypothèse d’une garantie de vérité. Je suppose que les anges gardiens qui accompagnent chacun de nous, et qui, connaissant à fond nos pensées et nos actions, reçussent de Dieu l’ordre de dire à haute voix la pleine vérité dans toute affaire de commerce, de donner des démentis à tout trompeur, soit vendeur, soit acheteur : il en résulterait que le mode actuel, la concurrence mensongère deviendrait impossible ; notre mécanisme commercial serait changé, réduit en entrepôt continu. Examinons cet effet.
    Tel marchand dirait à l’acheteur : Voici un beau et bon drap bleu, je vous le donne à trente-deux francs l’aune : c’est un prix d’ami ; je n’y gagne rien, en honneur ! J’y perds gros, mais c’est pour vous obliger. — Aussitôt l’ange invisible dirait : Tu mens, tu veux tromper cet homme. Ce drap est un faux teint ; tu l’as acheté à seize francs comme faux teint, et tu veux gagner dessus cinquante pour cent, en disant qu’il est bon teint, que tu y perds gros. — Sur ce, l’acheteur de dire : Ah ! ah ! vous vouliez me mystifier avec vos belles paroles. Adieu, monsieur l’ami du commerce. Merci, seigneur ange. Ah ! que les anges gardiens sont aimables depuis qu’ils disent la vérité ! — Puis le marchand, délaissé et furieux, s’écrierait : Citoyen ange, si vous ne voulez pas vous taire, il sera impossible de faire le commerce. Vous nous ruinez, vous faites manquer toutes nos ventes. — Oui, répond l’ange, tu seras confondu autant de fois que tu mentiras ; je ne te passerai pas le plus petit mensonge !
    Et de même chez le marchand de vins qui dirait à l’acheteur : Voici du vrai madère, délicieux, que je vous passerai à cinq francs. Il ne m’en reste guère ; je n’en ai que pour quelques amis. Je vous en ai réservé un panier, parce que vous êtes un ami de la maison ; car je les vends six francs à d’autres. Mais avec vous je ne veux pas gagner : c’est tout d’amitié. — Puis l’ange dira à haute voix : Tu en as menti. Tu as fabriqué ce vin il y a deux jours avec du trois-six, de l’alun et autres drogues ; il ne contient pas une goutte de madère, et il ne te revient pas à un franc. Tu veux gagner quatre cents pour cent, en prétendant que tu n’y gagnes rien. — Alors l’acheteur de dénicher en disant : Vivent les anges gardiens ! Nous ne serons plus victimes des marchands. — Et le marchand de vins, abandonné, de s’écrier : Te tairas-tu, scélérat d’ange gardien ! damné chien ! ennemi du commerce !
    Là-dessus les commerçants en chorus diraient : On ne peut plus vivre, si la justice ne fait pas pendre ces coquins d’anges. Mais, comment faire ? on ne les voit pas, on ne peut pas les prendre. Hélas ! le commerce est perdu ! Les anges nous assassinent ! On ne peut plus vendre la marchandise à prix d’ami. Ces monstres disent tous les secrets du métier ; c’est la mort du commerce. Ah ! maudite vérité ! maudits anges !
    Vraiment le commerce serait anéanti même chez le paysan, qui débite force mensonges en venant vendre ses denrées à la Halle. On connaîtrait par les anges la valeur réelle et les défauts de tout objet mis en vente ; on n’en accorderait que le prix réel, prix de valeur intrinsèque, à bénéfice équitable et admis, plus les frais de transport. Et, dans cet état de choses, tout le commerce serait transformé en grands entrepôts, où, la valeur de chaque objet étant pleinement connue, il n’y aurait pas lieu à marchander et tromper. Les files de marchands qui tapissent les rues seraient inutiles et retourneraient aux travaux productifs, les ventes seraient promptes et faciles ; on pourrait de loin faire des demandes sans voyage d’achat. D’ailleurs les entrepôts primitifs expédieraient dans chaque pays ce qui serait de consommation assurée. Cette