Page:Fournier - Le Théâtre français au XVIe et au XVIIe siècle, t. 2, Garnier.djvu/378

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de leur condition, ou à la dureté de leurs esprits, ou au mépris qu'ils ont fait des lettres, pour faire que l'on songe à les divertir ! Nous ne sommes pas dans ces Républiques, où le peuple donnait les gouvernements et les charges et où les Poètes étaient contraints de composer, ou des tragédies horribles, pour plaire à leur goût bizarre, ou des Comédies basses, pour s'accommoder à la portée de leurs esprits. Ceux qui ne composent des ouvrages que par un honnête divertissement, ne doivent avoir pour but que l'estime des honnêtes gens et c'est à leur jugement qu'ils adressent toutes leurs inventions et leurs pensées. Le peuple a l'esprit si grossier et si extravagant, qu'il n'aime que des nouveautés grotesques. Il courra bien plutôt en foule pour voir un monstre, que pour voir quelque chef-d'oeuvre de l'art, ou de la nature. Je crois même qu'il y a des Poètes, qui pour contenter le vulgaire, font à dessein des pièces extravagantes, pleines d'accidents bizarres, de machines extraordinaires, et d'embrouillements de Scènes, et qui affectent des vers enflés et obscurs, et des pointes ridicules au plus fort des passions : Car pourvu que les accidents soient étranges, tout ce qui se dit sur leur sujet, plaît au Peuple, et encore plus si c'est quelque pensée pointue et embarrassée, car alors moins il l'entend, plus il la loue, et lui donne d'applaudissements. Ce sont des esprits fort avisés qui ne songent qu'à cette vie présente, et qui sont si modérés, qu'ils n'affectent point la vie future des ouvrages, dont les seuls savants sont les distributeurs. Mais encore ne doit-on pas trouver étrange si ceux qui ne sont pas tenus d'avoir ces considérations pour le peuple, et qui ne songent qu'à satisfaire les premiers esprits de l'Europe, ne cherchent que les pures délicatesses de l'art, soit à représenter les nobles et véritables mouvements des passions dans les sujets sérieux, soit à réjouir les spectateurs par des railleries gentilles et honnêtes dans les Comiques. Après que les personnes raisonnables seront satisfaites, il en restera encore assez pour les autres, et plus qu'ils n'en méritent. C'est ainsi qu'il arrive des festins qui se font aux Grands : après qu'ils ont fait leur repas il n'en reste que trop encore pur les valets ; et bien que les viandes n'aient pas été apprêtées au goût de ces derniers, ils ne laissent pas d'en faire bonne chère ; et l'on aurait tort d'accuser le cuisinier d'une faute si l'un d'eux se plaignait, que l'on devait avoir eu égard à son goût, plutôt qu'à celui des maîtres. Aussi ayant introduit un Poète extravagant, on ne doit pas se plaindre de ce qu'on le fait parler en termes Poétiques extravagants ; et il importe fort peu que les ignorants l'entendent ou non, puisque cela n'a pas été apprêté pour eux. C'est être bien déraisonnable, d'accuser d'obscurité celui qui dans la bouche du poète s'est voulu moquer de l'obscurité des anciennes Poésies :

Ce n'est pas pour toi que j'écris,

Indocte et stupide vulgaire :

J'écris pour les nobles esprits.

Je serais marri de te plaire.





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