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Scène V





FILIDAN
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Ô Dieux ! Qu'une beauté parfaitement décrite [165]

De désirs amoureux en nos âmes excite !

Et que la Poésie a des charmes puissants

Pour gagner nos esprits et captiver nos sens.

Par un ordre pompeux de paroles plaisantes,

Elle rend à nos yeux les choses si présentes, [170]

Que l'on pense en effet les connaître et les voir,

Et le coeur le plus dur s'en pourrait émouvoir.

C'est chose étrange aussi d'éprouver que mon âme

Soit jusques à ce point susceptible de flamme ;

Et que le seul récit d'une extrême beauté [175]

Puisse rendre à l'instant mon esprit arrêté.

Mais quoi ? Tous les matins je me tâte et m'effraye,

Et crois sentir au coeur quelque amoureuse plaie,

Sans savoir toutefois qui cause ce tourment :

Si bien que quand je sors je m'enflamme aisément. [180]

La première beauté qu'en chemin je rencontre,

Qui de quelques attraits me vient faire la montre,

D'un seul de ses regards me rend outrepercé,

Et fait bientôt mourir un coeur déjà blessé.

Même si je n'en vois comme je les désire, [185]

Qu'un ami seulement s'approche pour me dire,

Je viens de voir des yeux, ah ! C'est pour en mourir :

Aussitôt je me meurs, je ne fais que courir,

Je vais de toutes parts pour offrir ma franchise

À ces yeux inconnus dont mon âme est éprise. [190]

Mais jamais nul récit ne m'a si fort touché :

J'étais à son discours par l'oreille attaché :

Et mon âme aussitôt d'un doux charme enivrée,

S'est à tant de beautés innocemment livrée.

Ô merveilleux tableau de mille doux attraits [195]

Qu'une Muse en mon coeur a doucement pourtraits !

Ouvrage sans pareil, agréable peinture

Du plus beau des objets qu'ait produit la nature :

Adorable copie, et dont l'original

N'est que d'or et d'azur, d'ébène et de coral, [200]

Et tant d'autres trésors que mon âme confuse