Page:Fournier - Mon encrier (recueil posthume d'études et d'articles choisis dont deux inédits), Tome I, 1922.djvu/107

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MON ENCRIER

avec un soin jaloux sur les intérêts de mon âme chrétienne.

La première fois que l’on voulut, de l’extérieur, m’envoyer des livres, ce fut toute une affaire.

On se trouvait au mardi, jour de parloir, et plusieurs amis en avaient profité pour me venir voir. Quelques-uns, devinant mes besoins, traînaient des bouquins pleins leurs poches. Ils prièrent le gouverneur de vouloir bien m’en remettre au moins deux ou trois.

— Donnez toujours, dit M. M.***, mais il ne pourra pas les recevoir avant dimanche.

— Et pourquoi, s’il vous plaît ?

— Parce que je ne les connais point, ces livres-là… Faudra d’abord qu’ils soient soumis à l’aumônier.

— Mais vous pouvez lui téléphoner, à l’aumônier ?

— Je ne suis point ici pour me bâdrer de cela ; ça ne me regarde point.

Heureusement, l’aumônier, mis au courant, se hâta d’intervenir, et, peu d’heures après, je m’enfonçais avec ivresse dans un bon vieux livre. Ce n’était pas trop tôt ; songez que depuis plus de trois jours j’étais soumis à un jeûne absolu : à la table on m’affamait de la façon que j’ai dite ; comme nourriture intellectuelle on me réduisait au Centurion, ce skelley de l’esprit. — Après ce jour béni, je continuai, il est vrai, à partager la