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LA LANGUE FRANÇAISE AU CANADA

titutrice, il nous faut nous humilier. Heureux ceux, comme vous, qu’elle daigna bien épargner. Heureux ceux-là que n’entreva jamais dans leur marche la crainte d’errer, qui toujours et sans effort, quel que fût le lieu, l’instant, le sujet, surent défendre des impures séductions du doute la virginité de leur pensée. Pour moi, je le confesse, c’est un privilège qui m’a été refusé. J’ai eu trop de fois, dans ma carrière encore brève d’écrivain, l’occasion d’apercevoir combien lourdement et combien à fond je m’étais trompé sur les points mêmes qui me paraissaient les plus simples et dont je me croyais le plus sûr ; j’ai trop de fois aussi pu mesurer, par l’expérience d’hommes qui me valent vingt fois, la puissance en quelque sorte surnaturelle de l’erreur sur les meilleurs cerveaux, la difficulté de connaître et la précarité de nos certitudes, pour ne pas me défier, aujourd’hui, de mes jugements lors même qu’ils me semblent porter, à ne pas s’y méprendre, tous les plus nets caractères de l’évidence.

Ainsi tout simplement s’explique, mon cher confrère, que, plus éloigné que jamais de vous comprendre, je n’en fus pas moins une bonne demi-heure, l’autre soir, à me demander très sérieusement si, malgré tout et de la meilleure foi du monde, je ne vous avais pas fait injustice dans ma première lettre. Ce doute, pour des raisons que je vous donnerai, à présent, serait inex-