Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/17

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À ma gauche, vis-à-vis de la porte d’entrée, j’aperçois deux vastes grilles, que sépare un intervalle d’au moins quatre pieds. C’est là, derrière la deuxième rangée de barreaux, que j’irai, dans quelques jours, causer à distance avec mes amis de l’extérieur. En ce moment même, un prisonnier reçoit des visiteurs ; mais il m’est à peu près impossible de discerner ses traits, à cause de l’obscurité…

Un peu plus loin, tout près de la porte, un petit cabinet grand comme la main, où je viendrai, par la suite, rencontrer de temps en temps mes avocats.

Au mur de droite, une grande horloge. En ce moment elle marque deux heures trente. Encore neuf heures et demie, et j’aurai terminé ma première journée. Il ne me restera plus alors que quatre-vingt-onze jours à faire… Une bagatelle !

Une demi-heure se passe, et je n’ai pas bougé de ma place… Mais voilà que soudain deux gardes se précipitent vers moi, seuls et sans armes. Que me veulent ces hommes intrépides ?

— Donnez-nous, me dit le premier d’une voix éclatante, tout ce que vous avez sur vous !

Une à une, je vide mes poches. J’en retire successivement un canif, deux trousseaux de clefs, trois ou quatre lettres, un numéro du Nationaliste, deux dollars cinquante en argent dur, une statuette de la bonne sainte Anne et un portrait de M. Gouin. Aussi, un billet de retour pour Montréal.

Quand ce fut fini :

— Est-ce tout ? me demanda le deuxième garde.

— C’est absolument tout : vous voyez, mes poches sont à l’envers…

Et je retourne l’un après l’autre tous mes goussets.

— Faites voir, réplique le numéro un.

Et les voilà partis, lui et son complice, à vérifier, chacun de ses dix doigts, le vide affligeant de mes poches. Leur conscience étant sur ce point satisfaite, il ne leur restait plus qu’à me palper, puis à me repalper, des pieds à la tête. Rude besogne, qui ne leur prit pas moins de cinq