Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cette couverte et cet oreiller, je demeurais bouche bée, pénétré à la fois d’étonnement et d’admiration.

Enfin je me laissai tomber sur mon grabat, non sans en avoir au préalable écarté la couverte (car je tenais à protéger mon pantalon rayé), et je me pris longuement le front entre les mains pour réfléchir à ce qui m’arrivait.

Soudain, je me sentis toucher à l’épaule par une main bienveillante.

— Vous pleurez-ti ?

Je reconnus le seul ami que j’eusse encore dans la maison, le vieux pochard du 15.

Il venait de ramasser la vaisselle, et se disposait à la remporter à la cuisine, ainsi qu’il faisait tous les soirs. Le temps pressait et il lui fallait se hâter. Mais il n’avait pas voulu partir sans venir me souhaiter bonne nuit.

Il me prodigua les encouragements (« Trois mois, c’est vite passé… » etc.), et, surtout, me donna d’utiles conseils quant à la façon de vivre en cellule.

— D’abord, dit-il, faut pas oublier de vous prendre tous les soirs un bon grand gobelet d’eau fraîche pour la nuit. On sait jamais : supposons que vous tombiez malade… Tenez, venez avec moi.

J’allai donc avec lui me chercher « un bon grand gobelet d’eau fraîche », que je posai délicatement sur le parquet à la tête de mon lit : car pas n’est besoin de vous dire que je ne pouvais guère le poser ailleurs que sur le parquet…

Quand cela fut fait :

— À c’t’heure, dit-il, j’vas m’en aller, parce que le garde parlerait… Eh ben, bonne chance ; découragez-vous pas !

Sur ces paroles de bonne amitié, mon vieux camarade me quitta, — mais pour revenir l’instant d’après, à ma grande surprise, et devinez avec quoi ? Avec une assiette pleine de skelley !

— Vous voyez, m’expliqua-t-il, c’est du gruau. J’ai vu que vous n’aviez pas mangé, au souper. Alors vous pourriez peut-être avoir faim cette nuit : je vous en apporte une assiettée. Mais