Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vous avez une congestion : ça pourrait devenir dangereux. »

. . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . .

Au moment que j’entrai en prison, je souffrais d’une dépression qui inspirait de vives craintes à mon médecin. Les nuits blanches du Nationaliste m’avaient complètement épuisé et ma santé, paraît-il, était aussi compromise que possible.

Je me hâte d’ajouter, pour rassurer mes nombreux ennemis, que j’ai eu le temps, depuis, de me remettre. À l’heure où j’écris ces lignes, je ne suis pas loin de peser le poids d’un député ordinaire ; mes muscles s’affermissent chaque jour, on dit même que je prends du ventre, et si je continue je serai bientôt aussi épais qu’un numéro de la Presse.

Mais en 1909 j’étais loin de pouvoir en dire autant. Mon médecin m’abreuvait sans relâche de toniques, et je me rappelle fort bien que durant les deux mois — notamment — qui précédèrent ma condamnation, je ne pus me tenir debout qu’à force de suralimentation.

Je voulus savoir du docteur Robitaille s’il faisait, au point de vue de ma santé, une différence quelconque entre les viandes saignantes et le skelley. Il m’assura qu’il n’en voyait aucune.

— Toutefois, dit-il, pour plus de sûreté je m’en vais vous ausculter.

Ayant mis à exécution ce projet :

— Je vois, dit-il en me regardant au blanc des yeux, ce que vous avez. C’est des apéritifs qu’il vous faut. Je m’en vais vous envoyer des amers.

Durant la semaine qui suivit, il ne manqua pas un seul jour de me venir ausculter, ni de m’envoyer des amers.

Oh ! ces amers… Régulièrement à tous les repas, on me les apportait dans ma cellule. Je n’ai pas souvenir qu’on y ait manqué une seule fois.

Le malheur, c’est que plus on me donnait envie de manger, moins on me donnait de quoi manger. J’en étais toujours réduit au skelley matin et soir, à la soupe aux légumes ou à la jambe de botte le midi.