Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/62

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nouveau séjour. J’en devais sortir le 29 au matin.

Durant ces dix jours, je n’eus pas trop à me plaindre de l’existence.

Dire que je goûtai le paradis sur terre, ce serait exagérer. Je sais bien qu’au paradis il y aura aussi un geôlier : seulement ce ne sera pas M. Morin ; et des cantiques : mais non pas ceux de madame de Saint-A… Et puis, nous y verrons probablement beaucoup de choses qui n’existent pas du tout à l’infirmerie de la prison de Québec.

Cependant, comparé à la réclusion cellulaire, ce régime était encore supportable.

Il me permit d’entreprendre une étude approfondie de la vie de prison. Les mœurs des prisonniers, leurs habitudes, leurs ambitions, leurs querelles, tout cela bientôt n’eut plus de secrets pour moi.

Vous croiriez peut-être que je trouvai dans ce spectacle quelque monotonie. Erreur, mon cher ami, complète erreur ! Rien au contraire n’est plus varié, plus amusant et plus mouvementé que cette vie-là. Je n’en finirais pas si je devais vous conter tout ce qu’il me fut donné de voir dans ce court espace de temps : les mille industries des prisonniers pour tromper leur ennui ou se procurer des effets de contrebande ; leurs amitiés, leurs rivalités, leurs combats ; les airs importants ou résignés des gardes ; les potins et cancans de la prison ; la romanesque idylle de L…, le petit épileptique, que sa fiancée venait voir deux fois par semaine au parloir ; les rêves de gloire de Z…, le barbier, qui avait été artiste-amateur et se croyait du génie ; enfin l’héroïque aplomb de X…

Figurez-vous que cet animal de X…, malgré sa jeune obésité, sa trogne agréable et son teint ruisselant de suif, avait tout de même trouvé moyen de se faire admettre à l’infirmerie. En peu de temps, il avait fait de cet endroit son domaine à lui, son royaume. Il y menait un genre de vie véritablement extraordinaire pour un prisonnier. Malgré les règlements, qui le condam-