Page:Fournier - Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1880.djvu/148

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132 DUMAS (ALEXANDRE)

A TOI

Minuit sonne : c’est l’heure où chaque soir, mon ange, Notre baiser d’adieu sur nos lèvres s’échange ; C’est l’heure où je te dis, pour me ravir à toi : Le sommeil va venir : rêveras-tu de moi ?... Puis je prends un second baiser, et me retire Dans la chambre voisine où mon travail m’attire ; Convaincu que je suis que je vais jusqu’au jour Travailler en effet ; mais bientôt, mon amour. Tout de ce grand projet rend mon âme oublieuse ; C’est le bruit qu’en tombant fait ta robe soyeuse, C’est ton pied accusant le lacet entêté Dans un trou du corset par un nœud arrêté ; Ce sont les vingt objets que sans but la main touche. Les mots qu’à tes pensers répond tout haut la bouche, Le léger craquement que sous ton corps lassé Fait entendre ton lit, par ton poids affaissé ; Le froissement du livre où, prolongeant les vielles, Victor du vieux Paris raconte les merveilles, Et dont chaque feuillet, entre deux doigts conduit. Disparaît, à son tour, sous le feuillet qui suit. Ta lampe qui pétille, épuisée et mourante. Et dont le dernier jet laisse, à ta vue errante, Un instant de clarté, pour s’arrêter encor Sur l’aquarelle sombre en sa bordure d’or ; Puis, bientôt échappant à ton œil qui se lasse. Chaque objet se confond, se ternit et s’efface, Comme lorsqu’une haleine a touché ton miroir ; Ta bouche en se fermant balbutie un bonsoir ; Le souffle régulier, qui de ton sein s’élance. De la nuit, à son tour, trouble seul le silence ; Et moi (lorsque tout bruit a cessé de frémir) Qui t’écoutais veiller, je t’écoute dormir.