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émouvant, peuplé de lumière et des mille vibrations de la vie qui sourdait du sol et courait les champs.

Là-haut, collée sur le ciel pur comme des yeux de madone, la forêt — le bois comme on dit plus communément — avec les rangs serrés de ses érables grises, aux branches desquelles craquaient des bourgeons roses. Puis les enclos des pâturages, où les chaumes usés se rapiéçaient de vert tendre. Plus bas, traversant les pièces ensemencées, les lignes de chemin de fer, où les wagons apparaissaient de loin comme des jouets puérils traînés par des ficelles invisibles. Puis, la maison, les bâtiments, avec le jardin et les prairies, jusqu’aux coteaux baignant leurs pieds dans la rivière aux méandres capricieux.

Accoudés sur le bras d’un petit pont, le père Braise et France supputaient la belle venue de tel morceau, le bon rendement de telle autre pièce. Ils faisaient des comparaisons avec les années passées, des projets pour les années suivantes. Le vieillard parlait avec des mots graves, des gestes sobres, accompagnés de hochements de tête suivis de longs silences. Quant à France, d’ordinaire peu communicatif, il était devenu presque éloquent. Il y mettait une sorte de grandeur, parce que son amour et son enthousiasme s’en mêlaient.

Le père Braise l’écoutait. Une joie intense envahit peu à peu son âme. France aimait donc toujours la terre ! Et ce n’était pas le dégoût de cette vocation patriarcale qui le poussait à déserter son poste d’honneur ? Rajeuni par la ferveur communicative que cette pensée récon-