Page:Frère Gilles - L'héritage maudit, 1919.djvu/23

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— Rien n’est moins certain : 95 fois sur 100 ça rate, et cela fait deux éclopés pour la vie.

— Alors, il faut abandonner la brebis qui s’égare pour garder les autres au bercail ?

— Il me semble bien qu’en abandonnant ses brebis, le Seigneur les gardait tout de même. D’ailleurs, je n’ai pas 99 filles ; je n’en ai qu’une. Et pourquoi mon désir de son bonheur serait-il moins légitime que le vôtre pour celui de Cyprien ?

La veuve Lachance demeura silencieuse. Il parut au père Braise qui la regardait à la dérobée, qu’elle tournait vers la fenêtre des yeux mouillés. Mécontent, au fond, de peiner sa voisine, il tournait et retournait sa tuque entre ses mains, comme pour en faire sortir une idée. Laborieusement tourmentée, la tuque laissa échapper son secret, et le père Braise pensa qu’il pourrait renvoyer la veuve Lachance contente ; ne compromettre, ni lui ni sa fille, et fournir du même coup à Cyprien une occasion, non de se corriger — il n’y croyait pas — mais de montrer jusqu’où il pouvait pousser la générosité de ses efforts. Aussi, après avoir toussé pour se donner contenance, il reprit :

— Il ne sera pas dit que le père Braise a refusé de tendre à Cyprien, ce que vous considérez comme une planche de salut. Je lui permets cet espoir, à condition que Céline ne le sache pas. Ma fille sera sûrement libre à son retour. La conduite de Cyprien me dira si je suis tenu de réaliser cet espoir.

La brave madame Lachance se confondit en actions de grâces, auxquelles le père Braise ré-