Page:Fréchette - Contes canadiens, 1919.djvu/16

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
16
UN MURILLO

Il admira beaucoup le petit tableau — auquel il trouvait comme un air de déjà vu, disait-il — et, une heure après, celui-ci, couronné de fleurs et de verdure, suspendu au fond du reposoir sacré, au-dessus de la petite châsse traditionnelle, n’attendait que la cloche de minuit pour resplendir dans toute sa grâce et sa fraîcheur virginale à la lueur des lampes et des cierges.

Et Maurice Flavigny avait quitté la cure de Contrecœur avec une nouvelle commande, pour l’église, d’un grand tableau de la Sainte-Trinité, patronne de la paroisse.

Jugez quel orchestre délirant, quel cantique attendri devaient chanter au fond du cœur de ce jeune homme de vingt-quatre ans, qui, dans cette nuit de Noël, si joyeuse, si solennelle, si impressionnante pour tous, apportait le bonheur et la richesse à ce qu’il avait de plus cher au monde — sa bonne vieille mère pauvre et aveugle, qu’il n’avait pas revue depuis six ans !

Maurice la trouva seule au logis, avec une petite servante, — la jeune institutrice, qui était en même temps l’organiste de la paroisse, ayant dû passer la journée au village chez son cousin, un jeune médecin récemment établi à Contrecœur — afin d’être plus à la portée de l’église pour les répétitions.

Passons sous silence l’entrevue de la mère et du fils.

Longtemps ils pleurèrent dans les bras l’un de l’autre.

Puis — ô mystérieuse impulsion de l’âme qui, dans le bonheur comme dans la détresse, sent le besoin de s’épancher au pied de Celui qui est la source de toute félicité comme de toute consolation ! — la pauvre aveugle prit son fils par la main.