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UN MURILLO

cachet de son génie, et que le plus capricieux des hasards avait fait tomber en sa possession.

Et, tout en mêlant ses couleurs et en jouant ferme du pinceau, Maurice Flavigny — le lecteur a sans doute deviné que tel était le nom de la nouvelle connaissance — Maurice Flavigny repassait dans sa tête toutes les circonstances qui venaient de le favoriser d’une façon si exceptionnelle, et les événements qui les avaient fait naître.

Il se voyait, cinq années auparavant, à l’âge de dix-huit ans, disant adieu aux siens, et s’embarquant à l’aventure, pour aller demander à la patrie de l’art moderne la science qui développe le talent, et sans laquelle le génie même reste impuissant et veule.

Il se rappelait ses journées d’ambition fiévreuse, ses longues veilles consacrées à un labeur ingrat, ses désappointements, ses froissements, ses découragements.

Il songeait à l’égoïsme des maîtres, aux jalousies des camarades, aux humiliations subies, aux mille révoltes de la fierté blessée.

Les deux premières années avaient été relativement heureuses.

Maurice Flavigny avait « pioché » avec conscience, vivant modestement de la petite pension que lui faisait son père — un notaire de campagne propriétaire de deux petites fermes aux revenus limités — passant ses heures de loisir dans les musées, étudiant les grands maîtres et demandant à leurs immortels chefs-d’œuvre le secret des inspirations fécondes.