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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/20

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La figure est glabre, le teint mat ; les traits, sans être absolument réguliers, sont beaux ; le regard est ferme et bienveillant, la bouche singulièrement expressive. Toute la physionomie respire le calme et l’indulgence. La tête, où la chevelure flottante et à demi bouclée encadre encore assez richement un front large et méditatif, se dresse droite et grave avec un grand air d’autorité, tempéré par l’expression sympathique qui se dégage du personnage tout entier. Au fait, une corrélation frappante entre le physique et le moral, entre la personne elle-même et le caractère de son talent.

Dans ses relations sociales, Laurier ne perd rien de son prestige. Affable et hospitalier chez lui, d’un commerce charmant chez les autres, la main et le cœur largement ouverts à tous et partout, il se serait fait même une réputation d’homme du monde, si sa renommée comme homme d’État eût laissé place pour une rivale.

Il a même cette suprême qualité chez les forts et chez ceux dont la gloire a consacré le mérite, de ne jamais faire sentir son écrasante supériorité à personne. Tout le monde est à l’aise avec lui. Grand homme en public, aimable cavalier chez les dames, bon camarade dans l’intimité — l’éclat de rire sur les lèvres franc et sonore comme sa parole, voilà Laurier.

On ne s’étonnera pas, après ce portrait — aussi fidèle que ma main ait pu le tracer — si j’ajoute que Laurier est d’une loyauté absolue, vis-à-vis même de ses adversaires. Ils se plaisent à le proclamer, du reste. Sir John Macdonald, paraît-il, disait un jour à quelqu’un : — « Je puis me fier sans crainte à Laurier ; il serait incapable, le voulût-il, de manquer à sa parole. »

Et comme couronnement de toutes ces belles qualités, une admirable possession de lui-même dans toutes les circonstances de la vie !

En somme, pas un nuage : une impeccabilité désespérante. On se demande ce qui manque à cet homme. Hélas ! oui, il lui manque quelque chose : un fils, qui serait l’héritier de son talent et de ses vertus civiques.

Mais, si Laurier n’a pas d’enfants, son intérieur n’en est pas moins un des plus agréables qu’on puisse visiter. J’essaierais de le peindre, si M. Willison, du Globe, dans un article intitulé : Laurier at Home, ne l’avait fait d’une telle main de maître, qu’il serait imprudent pour tout autre de l’essayer après lui.