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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/8

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WILFRID LAURIER


Ce nom me reporte juste vingt-cinq ans en arrière.

C’était dans la petite rue Saint-Gabriel, à l’aboutissant de la rue Sainte-Thérèse, au premier étage d’une ancienne maison démolie et remplacée depuis, dans le bureau de rédaction de l’Union Nationale, où Médéric Lanctôt recevait ses clients, recrutait son parti, et jetait aux quatre vents de Montréal et du pays les articles incendiaires qui faillirent faire avorter le projet de confédération des Provinces. Combien d’hommes importants j’ai connus là !

Le plus célèbre est sans contredit Wilfrid Laurier, le chef du parti libéral pour tout le Dominion, l’orateur parlementaire sans rival, celui que nos compatriotes anglais ont surnommé, ainsi qu’un nouveau Chrysostome, Silver-tongued Laurier. Je crois le voir encore, assis à son pupitre, tout au bout de la pièce, le dos tourné aux visiteurs, feuilletant des dossiers et couvrant d’une écriture élégante et rapide les longues pages d’un document judiciaire, absorbé dans son travail, et comme inconscient de tout le brouhaha politique qui lui bourdonnait aux oreilles.

J’avais remarqué cette gravité recueillie au milieu d’une telle agitation, ce calme si rare dans l’atmosphère fiévreuse où se fondaient, s’écrivaient et s’imprimaient les journaux du temps, et j’allais donner cours à ma curiosité, lorsque le jeune avocat se leva, prit son chapeau, et, serviette sous bras, passa devant moi pour se rendre au palais.

M. Laurier, mon associé en basoche, me dit Lanctôt ; un futur ministre !

Laurier sourit, et, comme il était pressé, nous n’échangeâmes que quelques mots. Quand la porte se fut refermée sur lui :

— Faites attention à cette tête-là, ajouta Lanctôt ; c’est celle d’un