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Page:Fréchette - Les hommes du jour Wilfrid Laurier, 1890.djvu/9

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gaillard qui fera son chemin. Il est poète, orateur, penseur, juriste, tout ce que vous voudrez. C’est un homme de l’avenir.

Je n’avais pas besoin de cette recommandation : Laurier possède une de ces physionomies qui frappent au premier coup d’œil ; une fois aperçue, elle se photographie dans la mémoire et ne s’oublie jamais.

Je fus quelques années sans revoir celui qui devait être mon voisin de fauteuil au parlement fédéral, et avec qui les circonstances devaient m’unir plus tard par les liens d’une amitié si honorable pour moi. Quand j’entendis de nouveau parler de lui, j’habitais Chicago. Il donnait sous sa signature, dans je ne sais plus quelle publication périodique de l’époque, un récit, moitié conte moitié légende, où se mêlaient, dans un style clair et vigoureux, à d’intéressants détails historiques, des peintures de mœurs qui trahissaient un esprit d’observation très original, en même temps qu’une rare connaissance de la langue. Je n’ai jamais vu la fin de ce travail. La publication en fut interrompue par un événement dans la vie de Laurier.

C’était en 1867. Éric Dorion venait de mourir, et le Défricheur, ce journal populaire qui avait si vaillamment fait les luttes et assuré les victoires du parti libéral dans les cantons de l’Est, allait disparaître avec lui, lorsque le jeune associé de Lanctôt partit pour l’Avenir, chargé de relever la plume que venait de laisser tomber l’infatigable patriote et démocrate. Mais il fallait autre chose que du talent et du courage pour maintenir une entreprise dont l’administration avait été depuis longtemps négligée ; et les capitaux nécessaires manquaient à Laurier. Du reste, son talent réclamait une autre arène. Le barreau l’appelait.

Il ne revint pas à Montréal cependant. Cette vie nouvelle et pleine d’activité des cantons de l’Est, qui avançaient alors encore plus rapidement qu’aujourd’hui dans la voie du progrès et de la fortune, l’avait captivé. Et, un beau matin, sans autre bagage que sa mince garde-robe et quelques livres de droit, mais riche d’espérance et sûr de lui, le futur homme d’État frappait à la porte de l’unique hôtel de Saint-Christophe, chef-lieu du district judiciaire d’Arthabaska ; et, le lendemain, les habitants de l’endroit lisaient avec indifférence, sur une petite enseigne bien modeste, ces trois mots destinés à un si vaste retentissement : Wilfrid Laurier Avocat.