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La Salle, dors en paix, perdu comme Marquette !
Au moins tu n’auras pas vu ta noble conquête,
Le radieux pays qui t’avait tant coûté,
Pour quelques millions follement brocanté !
Oui, dors en paix au fond de ta tombe perdue,
Ô Cavelier ! Ta gloire, un soldat l’a vendue ;
Le Saint-Laurent, déjà dès longtemps déserté,
Avait dû d’un roi vil payer la lâcheté.
Abandonnée aussi l’héroïque Acadie !
Le fier drapeau français, qui dans ta main hardie
Avait porté si loin son éclat triomphal,
S’est incliné devant un orgueilleux rival ;
Son vol ne plane plus au ciel du nouveau monde…
Mais son ombre, en passant, ne fut pas inféconde.
Sur ce sol où couvaient toutes les libertés,
Des germes pleins de force après lui sont restés,
Ces germes ont produit une race fidèle,
Qui, ravie à la France, a su garder loin d’elle,
Ainsi qu’un legs pieux à jamais vénéré,
Sa mémoire, sa langue et son culte sacré.
C’est un arbre robuste aux racines vivaces,
Qui, cramponné d’abord à toutes les crevasses,
Balance désormais, au vent du ciel serein,
Les mille et un rameaux de son tronc souverain.